DES MOTS EXPLOSIFS
À l’heure où une coalition de forces internationales multiplie les frappes pour combattre le groupe armé État islamique en Syrie et au Kurdistan irakien, Michèle Ouimet, journaliste au quotidien La Presse, publie un premier roman touchant, éclairant et percutant sur les limites de l’interventionnisme et sur ses effets souvent contreproductifs : La promesse.
« Des mots, que des mots », écrit-elle à propos des promesses de démocratie, de développement et de liberté pour les femmes que l’Occident avait fait miroiter aux Afghans et qui n’auront pu être tenues. Tout en mentionnant les changements apportés en Afghanistan depuis une dizaine d’années — boum économique à Kaboul, dopé par l’aide internationale, nouveaux quartiers et palaces financés par le narcotrafic, rejet des divisions tribales par les jeunes sous l’influence des réseaux sociaux —, l’auteure note l’écart culturel sans cesse grandissant entre la capitale et la province, où le régime patriar- cal, « impitoyable non seulement pour les femmes, mais aussi pour les hommes », exige toujours que l’honneur soit vengé par le sang. Ses descriptions d’un mariage traditionnel, de la nuit de noces traumatisante, de la vie servile d’une épouse sous le joug de sa belle-mère, des sévices infligés par le mari et de la menace d’être remplacée par une deuxième femme sont sobres, sans concession et, par leur indéniable crédibilité, à la limite du supportable.
On peut faire le même reproche de vacuité aux promesses de Louise, le personnage principal du roman. Celle-ci, envoyée spéciale à Kaboul pour un grand quotidien montréalais, s’est engagée à aider Soraya, une réfugiée de 19 ans qui a été sauvagement défigurée par un mari de 40 ans son aîné, proche des talibans. Une fois son reportage sur Soraya publié, cependant, elle se désintéresse de son sort et l’abandonne à son foyer d’accueil — une famille afghane établie à Brossard —, dont l’atmo- sphère étouffante n’est pas sans rappeler les détails sordides de l’affaire Shafia. Isolée dans un monde dont elle ne comprend ni la langue ni les moeurs, Soraya sera contrainte d’épouser un homme qui, pour n’être pas violent, n’en a pas moins 65 ans. « De toute façon, son destin est tracé d’avance », se dit Louise pour soulager sa conscience.
Michèle Ouimet dresse un portrait peu flatteur de la journaliste, dont la complaisance offre un contraste criant avec la résilience des Afghanes. Alors que Soraya porte courageusement les stigmates de son martyre aux mains d’un mari qui l’humiliait, la battait et la violait à répétition, Louise supporte difficilement la crise de la quarantaine. Obsédée par ses rides et son embonpoint, elle se débat avec ses troubles maritaux et la compétition au bureau, et compense ses frustrations par l’abus d’alcool, de somnifères et l’achat compulsif de soutien-gorge. Son sentiment de culpabilité à l’égard de sa protégée est vite éclipsé par son intérêt pour un scandale mineur de la politique municipale. Cette inconstance, bien sûr, n’est que le reflet de notre propre déficit d’attention à l’égard des grands drames humanitaires et de notre tendance à devenir vite blasés par l’excès d’information. « D’autres guerres ont remplacé celle en Afghanistan. La planète ne manque pas de conflits, de génocides, de typhons, d’ouragans, de tsunamis », fait remarquer Louise avec un certain cynisme envers son métier. Elle se trouve hypocrite de pleurer sur le sort des Afghans, alors qu’elle pourrait s’occuper de Soraya, mais la conscience de sa lâcheté, justement, est sa seule chance de rédemption. Il ne tiendra qu’à elle, comme à nous tous, de tenir ses promesses.