LES BARRICADES DE L’ESPRIT
L’édito de Carole Beaulieu rédactrice en chef et éditrice
Les cercueils du caporal Nathan Cerillo et de l’adjudant Patrice Vincent ne serviront donc que de marchepied au gouvernement conservateur pour légitimer et intensifier son programme sécuritaire. Pourtant, pour lutter contre le fanatisme violent qui a causé leur mort, à Ottawa et à Saint-Jeansur-Richelieu, il y a d’autres moyens. Des pays européens, comme le Danemark et l’Allemagne, en expérimentent (voir « Comment contrer la menace intérieure ? », p. 37).
Renforçons la sécurité autour du parlement, bien sûr. Mais rappelons-nous que contre un homme prêt à mourir, il y a peu de parades.
Les lois ne régleront pas tout. Notre sécurité est également garantie par une foule de moyens sociaux et économiques, dont nos élus sont aussi les gardiens. Ne dressons pas trop vite des barricades contre la réflexion.
Entre le geste d’un Martin Couture-Rouleau au volant de sa voiture et les attentats commis par des « terroristes islamistes radicaux » à Bali (202 morts en 2002), à Madrid (191 morts en 2004) ou à Bombay (173 morts en 2008), il doit bien y avoir une différence ! Et des réponses de l’État à moduler en conséquence.
Dans le projet de loi C-44 — qui donnera des pouvoirs de surveillance accrus aux policiers et aux services de renseigne- ment —, il ne se trouve guère de freins qui auraient ralenti la course meurtrière de Michael Zehaf-Bibeau vers le parlement. L’homme était accro au crack. Et Ottawa renâcle à renflouer les coffres des provinces, qui doivent sabrer les services de santé, y compris en santé mentale et en désintoxication.
La loi C-44 donnera surtout au gouvernement de nouveaux pouvoirs de surveillance sur les Canadiens à l’étranger. Elle renforcera aussi la capacité d’Ottawa de retirer la citoyenneté canadienne aux personnes qui ont une double nationalité et qui ont été jugées coupables d’actes terroristes par des tribunaux canadiens ou étrangers.
Fanatique d’une cause, Marc Lépine a tué 14 femmes à Montréal en 1989. L’État canadien aurait-il dû espionner et arrêter préventivement les personnes qui tenaient des propos antifé- ministes, comme la Gendarmerie royale du Canada (GRC) voudrait pouvoir le faire aujourd’hui à l’égard des partisans des islamistes ? Un autre projet de loi, sur la surveillance électronique, prévoit déjà donner des pouvoirs accrus aux policiers.
Si notre parlementarisme mérite d’être protégé au prix d’un plus grand pouvoir policier, pourquoi le gouvernement le méprise-t-il ? Pourquoi bafouet-il cette idée que les élus doivent débattre d’un projet de loi avant de l’adopter ?
Un tout autre projet de loi déposé la semaine dernière, sur le budget celui-là, incarne ce mépris : le C-43 modifie 36 lois et en crée 3 nouvelles. Députés et médias peineront à déchiffrer tout cela avant un vote. Il y a dans ce projet de loi « du bon, du mauvais et du vilain », comme l’a dit le critique néo-démocrate Nathan Cullen.
Une de ses mesures permettrait notamment aux provinces d’interdire aux demandeurs d’asile l’accès à l’aide sociale. S’ils ne peuvent pas travailler légalement, qu’ils n’ont pas droit à l’aide sociale et que l’État met des mois à statuer sur leur sort, comment ces demandeurs d’asile, souvent traumatisés par les guerres qu’ils fuient, survivront-ils ?
Voter cette mesure au moment même où des hommes en perte de repères cèdent au mirage de la violence et au discours simpliste des fanatiques semble contraire au sens commun.