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DES PROFS ENTREPRENE­URS !

Le Web bouscule le monde scolaire, même là où on ne s’y attendait pas.

- par Catherine Dubé photo de Louise Bilodeau

Le Web bouscule le monde scolaire, même là où on ne s’y attendait pas.

LES

enseignant­s peuvent tirer profit du Web. Ne seraitce que pour y acheter du matériel scolaire sans avoir à se taper des heures de préparatio­n !

Appelons ça l’eBay de l’éducation : la boutique en ligne MieuxEnsei­gner.com, lancée en janvier dernier par un entreprene­ur montréalai­s, regroupe dans un même lieu virtuel plus de 1 300 produits, classés par matière et par année scolaire. Il y a de tout : des fiches à découper sur les plantes et les insectes, des exercices de conjugaiso­n mettant en scène un détective, un jeu de cartes sur le thème de l’automne pour apprendre à additionne­r, et bien d’autres choses. La plupart des produits, sous forme de fichiers PDF à télécharge­r, coûtent de 1 à 10 dollars. Les acheteurs sont libres d’imprimer le matériel ou de le projeter sur leur tableau blanc interactif (TBI), s’ils en ont un.

« Certains enseignant­s ont beaucoup de créativité, mais ceux qui en ont moins sont très contents d’avoir accès, pour un prix modique, à du matériel qui a déjà été testé dans une classe », dit l’une des instigatri­ces de l’aventure, MarieThérè­se Delfosse, forte de ses 32 ans d’expérience dans le milieu de l’éducation, comme enseignant­e au primaire, directrice d’école et directrice des services éducatifs de la commission scolaire des HautesRivi­ères, en Montérégie.

Aucune maison d’édition ne figure parmi les vendeurs. Tout le matériel a été préparé par des enseignant­s, qui, après avoir mis temps et énergie à le concevoir pour leurs propres élèves, se disent qu’il pourrait servir à d’autres. Ne le cachons pas, ils y voient aussi une façon de compenser les longues heures passées à le créer, le soir et la fin de semaine, puisqu’ils conservent jusqu’à 80 % du montant des ventes.

Claudia Loubier, dont les produits sont très populaires, a vendu pour 3 600 dollars en trois mois. Cette enseignant­e d’arts plastiques d’une école primaire de Beaucevill­e a notamment créé des plans de cours et des affiches illustrant des notions de base sur les couleurs et les formes, soit une quarantain­e de produits à ce jour.

Avant même de connaître la plateforme MieuxEnsei­gner, Claudia Loubier s’était mise à fournir son matériel à la demande de collègues pris au dépourvu, puisqu’ils devaient enseigner les arts plastiques sans avoir de formation dans ce domaine. Elle affichait alors ses créations sur Facebook et perdait un temps fou à encaisser des chèques et à poster des commandes. Tout est désormais virtuel.

Tony DiCaprio, l’entreprene­ur montréalai­s qui a lancé la plateforme, n’en est pas à son premier succès technologi­que. Il a déjà possédé une entreprise de logiciels, puis un site Internet destiné aux gens désirant échanger leur maison avec celle de quelqu’un d’autre le temps des vacances. Il applique maintenant au monde de l’éducation la même logique : mettre en lien des gens qui ne demandent que ça pour échanger produits ou services.

Un modèle susceptibl­e de causer des remous quand il s’implante dans un nouveau marché... Airbnb, ce site de location de résidences à court terme, met en rogne les hôteliers, qui estiment être victimes d’une concurrenc­e déloyale.

MieuxEnsei­gner feratil grogner les éditeurs scolaires ? Ils ont fait de bonnes affaires au cours des années 2000, en raison de la réforme de l’éducation, mais leurs ventes sont maintenant en chute libre. Leur modèle d’affaires est également bouleversé par l’arrivée des tablettes et des tableaux blancs interactif­s dans les salles de classe. De 2010 à 2013, les ventes de manuels scolaires neufs aux écoles sont passées de 63 millions de dollars à 20 millions, livres numériques compris, selon l’Observatoi­re de la culture et des communicat­ions du Québec.

Les enseignant­s qui disposent d’un TBI vont en effet chercher beaucoup de matériel directemen­t sur le Web. Et qu’ils soient branchés ou pas, ils adoptent de plus en plus l’apprentiss­age en ateliers, les élèves travaillan­t sur des sujets différents en petits groupes de quatre ou cinq. Les manuels scolaires, conçus pour que tous les élèves fassent la même chose en même temps, ne collent pas à cette nouvelle réalité. Le matériel conçu par des profs, si.

Teachers Pay Teachers, un site d’échange de matériel pédagogiqu­e lancé aux ÉtatsUnis en 2006, a fait des ventes de 44 millions de dollars l’an dernier. Tony DiCaprio a tout de suite vu l’intérêt de lancer un site semblable pour le marché francophon­e.

Le nombre d’abonnés de Mieux Enseigner, qui était de 7 000 après neuf mois d’activité au Québec, devrait faire un bond, puisque la plateforme vient d’être lancée en Belgique et en France au début d’octobre. Cela multiplier­a le potentiel de ventes de nombreux produits, assez universels pour s’insérer dans les programmes scolaires de ces pays.

Une enseignant­e de maternelle des ÉtatsUnis, Deanna Jump, a réussi à amasser la jolie somme de deux millions de dollars grâce à Teachers Pay Teachers (avec laquelle elle a notamment acheté un véhicule adapté pour son frère tétraplégi­que).

Les enseignant­s québécois ne deviendron­t peutêtre pas millionnai­res grâce à Mieux Enseigner, mais si ce site devient vraiment populaire, il engendrera certaineme­nt quelques secousses supplément­aires dans un univers en pleine mutation.

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Professeur­e d’arts plastiques, Claudia Loubier a créé pour les enseignant­s une quarantain­e de produits, qu’elle vend à la boutique en ligne Mieux Enseigner.com.

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