L’ APRÈS-22 OCTOBRE
LAdate du 22 octobre 2014 — jour de la fusillade qui a ébranlé la colline du Parlement fédéral — est-elle appelée à passer à l’histoire comme le 11 septembre 2001 du Canada ? Dans le feu d’une journée tragique, il s’est trouvé des commentateurs pour le laisser entendre. La comparaison mérite qu’on s’y arrête, ne seraitce que pour mettre en lumière des différences fondamentales.
À la suite des attentats de 2001, le Canada s’est trouvé aux prises avec une nouvelle réalité, qui avait moins à voir avec sa sécurité physique qu’avec sa prospérité. Du jour au lendemain, la sécurité était devenue la priorité absolue de son principal partenaire commercial, dont il partage la frontière. À l’époque, un des principaux risques que les dirigeants politiques canadiens se sont activés à atténuer a été celui de voir cette frontière devenir un goulot d’étranglement économique.
Davantage que d’éventuelles menaces à la sécurité de sa population, l’intérêt supérieur de l’économie canadienne avait justifié l’empressement du gouvernement de Jean Chrétien à resserrer des lois, à revoir les politiques d’immigration et les contrôles aux frontières.
Les répercussions géopolitiques de l’introduction d’un tireur fou au parlement fédéral — même dans la foulée d’un premier attentat motivé par des considérations politiques — sont, somme toute, insignifiantes à l’échelle de celles des attentats du 11 septembre. C’est d’autant plus le cas que la thèse selon laquelle le Canada aurait servi de banc d’essai à des attentats terroristes d’envergure dans d’autres capitales a été plus ou moins écartée rapidement.
Les élus canadiens, par contre, se sentent nettement plus menacés. En voyant le premier ministre, Stephen Harper, faire l’accolade à Thomas Mulcair et à Justin Trudeau au lendemain de la fusillade, des journalistes ont noté que, même après le 11 septembre, la Chambre des communes n’avait pas été le théâtre de scènes aussi chargées d’émotion.
Mais en 2001, c’est par personnes interposées que le choc des attentats terroristes avait secoué le Parlement. Le 22 octobre, députés et ministres se sont retrouvés dans le feu de l’action au sens propre du terme.
Jean Chrétien avait la réputation d’être un premier ministre intrépide qui faisait frémir ses gardes du corps en plongeant dans des foules parfois survoltées. Lorsqu’un intrus s’est rendu jusqu’à la porte de sa chambre à coucher à la résidence officielle du 24 Sussex, en 1995, il a néanmoins été démonté par l’incident pendant un certain temps.
Qu’un si grand nombre d’élus fédéraux aient vécu de si près un épisode particulièrement violent de la vie politique du Canada est sans précédent. Et à ce contexte inédit, il faut inévitablement ajouter une échéance électorale rapprochée.
Avant même que le destin se mette de la partie, le plan stratégique du gouvernement consistait à présenter Stephen Harper comme l’homme de la situation sur une planète de plus en plus incertaine. Aucun parti n’est identifié autant au maintien de l’ordre que celui du premier ministre. Dans la mesure où ce sujet pourrait devenir une priorité pour un plus grand nombre d’électeurs au cours de la prochaine campagne, les conservateurs ne laisseront pas les Canadiens l’oublier.
Mais l’arme est à double tranchant. Le penchant des conservateurs à ne pas faire dans la dentelle en matière de lois répressives inspire autant, sinon plus, de méfiance que de confiance au sein de l’électorat. Et dans le Canada de l’après-11 septembre, l’espace pour légiférer efficacement et dans le respect des droits fondamentaux est pour le moins restreint.
Dans tous les cas de figure, le Canada pourrait difficilement changer davantage après le 22 octobre 2014 qu’il ne l’a fait depuis le 11 septembre 2001.
Bref, dans le prolongement des événements de Saint-Jean-sur-Richelieu et d’Ottawa, le contexte préélectoral pourrait se prêter à la dérive législative. Mais l’imminence d’un scrutin garantit aussi que les Canadiens auront, s’ils le jugent nécessaire, l’occasion d’ajuster le tir dès l’an prochain.
Après le 11 septembre, le Canada s’est retrouvé sous haute surveillance à Washington. À la suite des attentats d’octobre, c’est le gouvernement de Stephen Harper qui est sous haute surveillance préélectorale.
Au final, et contrairement à ce qui fut le cas après le 11 septembre, l’après-22 octobre sera, pour l’essentiel, ce que les Canadiens accepteront d’en faire.