Fabriquer le vivant
des êtres vivants sur mesure relève de moins en moins de la sciencefiction ! Cette année, une équipe de 80 scientifiques (majoritairement américains, chinois et français) a franchi une étape majeure en biologie synthétique en réussissant à reproduire en laboratoire un chromosome complet de la levure de boulanger.
Pour les biologistes, la levure de boulanger, ce champignon microscopique qui sert à faire du pain ou de la bière, est un modèle pour tous les organismes dits eucaryotes (dont les cellules comportent un noyau), comme les plantes et les animaux.
Petit bout par petit bout, des dizaines d’étudiants ont fabriqué de l’ADN artificiel à l’aide des techniques de la biologie moléculaire. Puis, les chercheurs ont « accroché » ces quelque 300 000 paires de bases (les briques élémentaires de l’ADN) à un chromosome de levure, pour y remplacer peu à peu son matériel génétique d’origine. Il leur a fallu sept ans pour obtenir ce microorganisme en partie conçu sur mesure, qu’ils ont surnommé Sc2.0 (pour
Saccharomyces cerevisiæ 2.0). La recette de Sc2.0, publiée en avril dans la revue
Science, ne constitue que la première étape d’un programme beaucoup plus ambitieux : des centaines de chercheurs dans le monde se sont en effet donné pour mission commune de reconstruire l’intégralité des 16 chromosomes de la levure. La tâche sera colossale, mais à moins d’obstacles inattendus, on se rapproche à grands pas du premier organisme eucaryote doté d’un patrimoine génétique entièrement synthétique.
Et après ? En 2010, un rapport de la Commission de bioéthique américaine avait conclu qu’il n’y avait pas lieu de paniquer devant ces tentatives de fabriquer le vivant en laboratoire ; il recommandait toutefois une prudente vigilance concernant cette nouvelle forme de biotechnologie. De la biologie synthétique pourrait découler des avancées importantes, pour produire tant des vaccins que de nouveaux médicaments, aliments ou biocarburants. Depuis, des groupes militants ont appelé — en vain — à un moratoire sur la recherche, alors que les succès obtenus poussent au contraire de plus en plus de scientifiques vers ce nouveau champ d’études.