LE BEAU RISQUE DE BOMBARDIER
Par Pierre Duhamel
mois prochain, à Paris, se jouera peut-être l’avenir du plus audacieux pari industriel du Québec. Alain Bellemare, nouveau président de Bombardier, profitera du Salon international de l’aéronautique et de l’espace pour présenter à la presse mondiale et à l’ensemble des dirigeants des compagnies aériennes l’avion de tous les soucis et de toutes les incertitudes, le CS100. Bombardier a misé sa réputation — et peut-être même son existence à titre d’acteur majeur dans l’industrie de l’aéronautique — en lançant, en 2004, la CSeries : deux avions totalement nouveaux destinés à remplacer les Boeing 737 et les Airbus A320, appareils les plus vendus de l’histoire de l’aviation.
Le périple de la CSeries a été marqué par de puissants vents contraires et des escales imprévues. Bombardier a suspendu son programme en 2006, avant de le reprendre partiellement en 2007 et de le relancer pour de bon en 2008. La série est aujourd’hui en retard de deux ans sur l’échéancier établi lors de la relance et coûtera 5,4 milliards de dollars, soit 2 milliards de plus que prévu.
Chaque retard fait grimper les coûts, décale l’encaissement des revenus de vente, vampirise les flux de trésorerie et empêche Bombardier d’investir autant qu’elle le devrait dans d’autres projets. Cette saignée a sans doute contribué à la suspension du programme du Learjet 85, ce qui a causé une perte de 1,2 milliard de dollars en 2014. Les investisseurs sont inquiets et l’action a piqué du nez pour atteindre son plus bas niveau en 10 ans : elle a perdu plus de 40 % de sa valeur depuis le début de l’année.
Le ciel était pourtant radieux au départ de l’aventure. Le CS100 et le CS300, qui peuvent transpor- Le défi d’Alain Bellemare, président de Bombardier : faire taire les oiseaux de
malheur. ter jusqu’à 149 et 160 passagers respectivement, permettront des économies de 20 % sur la consommation de carburant grâce à leur moteur, mis au point par Pratt & Whitney. Ils seront plus aérodynamiques, plus légers, moins bruyants, moins polluants et ils iront plus loin que tous les autres appareils de leur catégorie en production aujourd’hui.
Leur construction est toutefois complexe. Les essais en vol ont dû être interrompus pendant quatre mois l’été dernier, après une défaillance du moteur d’un des prototypes. Ces retards ont suscité la méfiance des acheteurs potentiels, plus intéressés par des avions éprouvés que les pilotes connaissent par coeur.
C’est là le drame de Bombardier. Voyant l’intérêt suscité par la CSeries, Boeing et Airbus ont doté leurs avions de moteurs plus performants. Et ils en vendent des tonnes — près de 3 700 pour l’Airbus A320 Neo et plus de 2 700 pour le Boeing 737 MAX —, alors que Bombardier n’a à ce jour que 243 ventes fermes. Les prochains mois seront déterminants. L’entreprise a réglé ses problèmes financiers à court et moyen terme en allant chercher quelque 868 milliards de dollars américains en capital-actions et en obtenant un financement de 2,25 milliards en titres de dette.
Le compteur du programme d’essais en vol du CS100 affichait, au début du mois de mars, 1 164 heures sur les 2 400 nécessaires pour recevoir la certification du ministère des Transports du Canada, qui devrait être obtenue dans la seconde moitié de l’année. Le CS300 devrait être certifié six mois plus tard.
Pour rétablir sa crédibilité, Bombardier doit convaincre un important acheteur. La lettre d’intention signée à la mi-mars, pour la vente de 20 appareils, avec un nouveau transporteur malaisien est un pas dans la bonne direction.