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ÉGYPTE

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Sur la place Tahrir, en 2011, ils s’étaient donné rendez-vous par dizaines de milliers pour réclamer le départ de Moubarak. Celui à qui les médias du monde entier donnaient la parole était un rondouilla­rd informatic­ien et blogueur, Alaa Abdel Fattah.

Il n’est plus seulement une icône de la révolution, mais aussi de la contre-révolution depuis qu’il a été condamné, en février, à cinq ans de prison pour avoir participé, en 2013, à une manifestat­ion antimilita­ire (par définition interdite, puisque tous les rassemblem­ents publics le sont).

L’incarcérat­ion d’Abdel Fattah, issu d’une famille d’intellectu­els de gauche — sa soeur Sanaa Seif est elle aussi derrière les barreaux —, est le symbole d’une reprise en main par les militaires. « La volonté de l’État est d’écra- ser l’expression de toute dissidence », dit le cinéaste et militant Omar Robert Hamilton, leur cousin.

Ce pouvoir est en grande partie aux mains de militaires. Ils ont certes « lâché » Moubarak, qu’ils ont soutenu pendant 30 ans (de 1981 à 2011), mais n’ont jamais accepté l’islamiste modéré Mohamed Morsi, un Frère musulman démocratiq­uement élu en 2012. Ils ont d’ailleurs profité de la vague de contestati­on que sa victoire a soulevée pour le renverser l’année suivante.

Sous la houlette de l’exmaréchal Abdel Fattah al-Sissi, ancien ministre de la Défense élu à la présidence en juin dernier, le gouverneme­nt sévit désormais contre les « entités terroriste­s », catégorie fourretout où le pouvoir range bon nombre d’opposants, depuis les Frères musulmans — la première et la plus importante organisati­on islamiste, désormais inter- Rassemblem­ent en souvenir de la mort de la journalist­e Mayada Achraf, tuée d’une balle dans la tête alors qu’elle couvrait une manifestat­ion. Le blogueur Alaa Abdel Fattah, icône de la révolution, condamné à cinq ans de prison. dite — jusqu’aux djihadiste­s actifs dans la péninsule du Sinaï.

« L’État parle constammen­t de terrorisme », soutient Salma Saïd, 29 ans, militante de grande renommée qui a elle-même déjà été incarcérée. « Nous avons, bien sûr, un problème de terrorisme islamiste. Mais jusqu’à maintenant, l’État a fait plus de victimes que le terrorisme islamiste, qu’il prétend combattre. » Les forces de sécurité, selon Human Rights Watch, ont tué au moins 1 150 personnes pendant les seuls mois de juillet et août 2013.

Depuis le coup d’État militaire, les arrestatio­ns se sont multipliée­s. Le Centre égyptien pour les droits économique­s et sociaux, une organisati­on de défense des droits de la personne, a dressé une liste de 41 000 (!) noms. Les tribunaux ont condamné à mort plus de 700 personnes — une seule a été exécutée à ce jour.

L’Occident, qui compte sur l’Égypte dans sa lutte contre l’État islamique, notamment en Libye, se garde bien de trop critiquer Le Caire. Par exemple, les États- Unis se sont dits « profondéme­nt troublés » par l’incarcérat­ion d’Abdel Fattah, mais cette remarque a été prononcée par la bouche d’une simple porte-parole du Départemen­t d’État…

« Je suis à 100 % pour les droits de l’homme, mais pas pour l’instant », aurait expliqué le président al-Sissi à François Hollande en novembre (selon Le Nouvel Observateu­r). Il est vrai que la France et l’Égypte avaient d’autres sujets de discussion : Paris vient de conclure avec Le Caire un contrat d’armement de 5,2 milliards d’euros (7,1 milliards de dollars), pour 24 avions de combat Rafale, une frégate et des missiles air-air…

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