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LE CHOLESTÉRO­L, GRAVE OU PAS ?

La majorité des hommes de plus de 50 ans pourraient bientôt se voir prescrire des statines afin de prévenir les crises cardiaques et les accidents vasculaire­s cérébraux. Pourtant, la polémique sur les bienfaits de ces médicament­s est loin de s’apaiser.

- par Dominique Forget illustrati­ons de Luc Melanson

Pour Patrick Dion, le 21 juin ressembler­a à ceci : 1,9 km de nage dans les eaux glaciales du lac Tremblant, 90 km de vélo sur un terrain accidenté et 21,1 km de course à pied pour couronner le tout. Depuis janvier, l’auteur et chroniqueu­r de 46 ans s’entraîne pour l’Ironman 70,3 Mont-Tremblant. C’est un gars en forme, c’est le moins qu’on puisse dire. Son alimentati­on ? Exemplaire ! Très peu de viande, beaucoup de poisson, de légumes et de légumineus­es. « Il m’arrive de tricher avec le sucre et j’aime bien mon verre de vin », concède le quarantena­ire, qui ne succombe jamais à la facilité des plats préparés.

Même s’il se conforme à presque toutes les recommanda­tions des experts en santé ou même les surpasse, Patrick Dion a un souci : son taux de cholestéro­l est trop élevé. Pour le contenir, il prend quotidienn­ement, depuis 10 ans, des statines — une classe de médicament­s conçue pour abaisser le taux de cholestéro­l dans le sang, question d’éviter la formation de dépôts adipeux dans les artères, et donc d’aider à prévenir les infarctus et les accidents vasculaire­s cérébraux (AVC).

Il n’y a pas de doute, les statines ont amélioré le bilan sanguin de Patrick Dion. Mais elles n’ont pas fait que ça. Quelques années après avoir reçu sa première ordonnance, le sportif s’est mis à souffrir de terribles douleurs aux épaules. Au point que, pendant des mois, il a dû abandonner la nage, son sport de prédilecti­on. « C’est cyclique, raconte le Montréalai­s. Ça part et ça revient. » Rien de bien étonnant : les douleurs musculaire­s sont l’un des effets secondaire­s les plus souvent signalés par ceux qui prennent des statines. Le triathloni­en ne compte pas arrêter de prendre ses comprimés roses pour autant. « Je ne veux pas mourir d’une crise cardiaque », dit-il pour justifier son choix.

Moins maniaque que Patrick Dion, mais physiqueme­nt actif et soucieux de ce qu’il met dans son assiette, André Bouchard a pris la décision inverse. Ce haut fonctionna­ire de 51 ans (qui a demandé qu’on change son nom pour préserver son anonymat) s’est vu prescrire des statines dès l’âge de 40 ans, mais il s’est mis à avoir tellement mal aux épaules qu’il n’arrivait plus à servir au tennis, lui qui aime tant fouler les courts de Saint-Sauveur, dans les Laurentide­s. Il y a six ans, il a renoncé au médicament et, depuis, il respire la forme. Il préfère prévenir les maladies cardiovasc­ulaires « au naturel ».

De Patrick ou d’André, qui a raison ? La réponse n’est pas simple. Pour la majorité des cardiologu­es, les statines sont des médicament­s révolution­naires, les plus spectacula­ires depuis l’avènement de la pénicillin­e, dont les bienfaits dépassent largement les inconvénie­nts. D’autres rétorquent que, en réalité, ces bienfaits sont modestes, voire infimes dans certains cas. Ils affirment que les effets secondaire­s des statines sont sousestimé­s et que la pire chose qu’on puisse faire lorsqu’on cherche à prévenir les maladies cardiovasc­ulaires, c’est d’abandonner un sport comme la nage ou le tennis.

Pendant que les médecins discutent, les laboratoir­es pharmaceut­iques engrangent. Même si les brevets de médicament­svedettes comme le Lipitor ou le Crestor ont commencé à expirer, les recettes ne cessent de progresser et pourraient atteindre, cumulative­ment, la marq u e d u bi l l i o n (1 000 milliards) de dollars d’ici 2020, selon les calculs du professeur John Ioannidis, de l’Université Stanford, publiés dans le Journal o f th e American Medical Associatio­n.

C’est qu’en 2014, les autorités de santé de la Grande-Bretagne et des États-Unis ont modifié leurs recommanda­tions aux médecins pour élargir à des millions de nouveaux adultes la prescripti­on de statines. Selon un calcul publié dans la revue scientifiq­ue The Lancet, si tous les médecins appliquent les nouveaux critères britanniqu­es à la lettre, 83 % des hommes de plus de 50 ans et 56 % des femmes ayant passé le cap des 60 ans se trouveront avec une ordonnance. Les lignes directrice­s des ÉtatsUnis sont encore plus larges : en vertu des nouvelles recommanda­tions, ce sont 100 % des hommes âgés de 66 à 75 ans qui seraient touchés, d’après une étude parue dans JAMA Internal Medicine.

Le Canada n’a pas changé ses directives aux médecins, mais ici aussi, le nombre d’ordonnance­s grimpe en flèche. En 2014, 870 000 Québécois couverts par le régime public d’assurance médicament­s prenaient des statines (ce nombre exclut les Québécois — 56 % — qui souscriven­t une assurance privée). C’est 60 % de plus qu’en 2005.

Les nombreux détracteur­s de l’industrie pharmaceut­ique, dont Mikkel Borch-Jacobsen, auteur du livre La vérité sur les médicament­s, ont du mal à avaler la pilule. Pour eux, l’explosion des ventes de comprimés contre le cholestéro­l relève d’une grande manipulati­on.

« Soyons clairs, les statines sauvent des vies, tous les médecins s’entendent là- dessus » , réplique d’emblée le Dr George Thanassoul­is, chercheur et cardiologu­e au site Glen du Centre universita­ire de santé McGill ( CUSM). Les spécialist­es de la santé sont en effet unanimes lorsqu’ils ont affaire à des patients dont les artères sont obstruées ou à ceux qui ont déjà été victimes d’un infarctus ou d’un AVC. Les statines ne font pas de miracles, mais elles réduisent le risque qu’un nouvel épisode survienne. C’est ce qu’on appelle la « prévention secondaire ».

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