ET LES MALADES DANS TOUT ÇA ?
La réforme de la santé placet-elle le patient au centre des préoccupations ? Pas sûr, s’inquiète le Conseil pour la protection des malades.
La réforme de la santé place-t-elle le patient au centre des préoccupations ? Pas sûr, s’inquiète Paul Brunet, du Conseil pour la protection des malades.
À qui se plaindre quand on cherche en vain un médecin de famille depuis des années, qu’on attend une intervention chirurgicale depuis des mois ou qu’on se morfond sur une civière aux urgences depuis des heures ? Que faire si on estime qu’une personne âgée en centre d’hébergement est négligée ou qu’on nous présente une facture de frais médicaux qui semble exagérée ? Même s’il existe des recours, les Québécois insatisfaits du système de santé ont encore bien du mal à faire entendre leur voix, et les réformes en cours ne vont rien arranger, affirme l’avocat Paul Brunet, porteparole du Conseil pour la protection des malades (CPM).
Créé en 1974, cet organisme indépendant milite pour faire respecter les droits des usagers et améliorer la qualité des services qu’ils reçoivent. Il y a eu bien des progrès depuis l’époque où son fondateur, Claude Brunet (le frère de Paul Brunet), rendu tétraplégique par une méningite, poursuivait l’hôpital Saint-Charles-Borromée, qui avait abandonné des résidants à eux-mêmes lors d’une grève du personnel. Son histoire fait l’objet d’un film, La contestation de Claude Brunet, sorti en mars dernier.
La Loi sur les services essentiels, adoptée en 1986, ne permet plus de prendre des malades en otages à un tel point pour faire avancer des négociations. « Mais le système de santé écoute encore très peu les patients, s’insurge Paul Brunet. Certes, on a mis sur pied des comités d’usagers et des commissariats aux plaintes, mais leur pouvoir est très limité. »
Avec ses cinq employés, le Conseil pour la protection des malades, financé par des dons, traite 400 dossiers de plainte par an, organise des recours collectifs et rappelle constamment à l’ordre l’État, les établissements de santé, les syndicats et les ordres professionnels, à coups de mémoires et de déclarations dans les médias. Avec un budget annuel de 350 000 dollars — soit près de 100 000 fois moindre que celui du système de santé du Québec —, ce David a bien des idées pour vaincre Goliath !
Que conseillez-vous aux personnes insatisfaites des services de santé qu’elles ou leurs proches ont reçus, ou qui pensent que leurs droits n’ont pas été respectés ? D’abord, tentez de discuter avec le médecin ou un responsable de l’établissement où vous avez été mal servi. Si cela ne fonctionne pas, déposez une plainte auprès du commissaire aux plaintes et à la qualité des services de l’établissement concerné. On peut se faire aider dans ses démarches par les Centres d’assistance et d’accompagnement aux plaintes [CAAP], présents dans toutes les régions administratives du Québec. Les recours judiciaires, qui peuvent coûter des milliers de dollars, ne devraient être envisagés que quand les autres solutions n’ont rien donné. Chaque année, plusieurs milliers de personnes nous contactent, car elles n’ont pas eu le sentiment d’avoir été écoutées. Peut- on réellement se faire entendre ? Les commissaires aux plaintes n’ont pas les coudées franches, car ils sont bien trop proches des administrateurs des établissements, et bien des plaintes restent lettre morte. Le système de santé tolère, par exemple, qu’un médecin ne donne aucune nouvelle à une femme qui a passé un test de diagnostic du cancer du sein, même si cela a pu engendrer beaucoup d’angoisse ! Le CPM peut aider en tirant l’oreille aux responsables, car personne n’a envie d’avoir son nom dans les journaux. On transmet aussi des dossiers à d’autres organismes, comme le Protecteur du citoyen. Et on tente d’outiller les comités d’usagers, obligatoires dans chaque établissement, pour qu’ils puissent gagner en influence. Toutefois, ces instances continuent d’avoir très peu de pouvoir. Elles sont consultées, mais rarement écoutées ! Vous critiquez durement les réformes en cours dans le système de santé. Pourquoi ? Depuis 25 ans, toutes les réformes ont été faites au nom des patients, mais aucune ne leur a bénéficié ! Gaétan Barrette a raison de vouloir simplifier l’organisation du système de santé. Mais abolir les agences régionales est une solution de facilité qui ne change rien aux vrais problèmes. Dans le système, on a besoin d’une bien plus grande obligation de rendre des comptes, pour que le pouvoir soit plus proche des patients et les services plus efficaces, alors que le ministre s’est autorisé à mettre sa patte partout. Prenez l’exemple du plan d’hygiène d’un hôpital : s’il n’est pas respecté, personne sur place n’est responsable ! Du coup, rien ne se passe. Cette fois encore, pendant que les gestionnaires vont s’occuper de changements de logos et de comités de transition, les malades vont continuer d’attendre aux urgences. Et les économies annoncées sont irréalistes.
Que proposez-vous ? Il faudrait reporter d’un an cette réforme, le temps de l’expliquer et de recevoir les commentaires. Le ministre doit faire sentir aux employés qu’ils sont importants, en s’entendant avec eux sur les grands objectifs pour le Québec, les défis propres à chaque région sociosanitaire et la manière dont les établissements vont les relever. Actuellement, les travailleurs de la santé sont abasourdis par des changements qui leur tombent dessus d’un coup. Ce n’est pas avec des professionnels démotivés et sans obligation de rendre des comptes qu’on va améliorer la qualité des services !