L’actualité

À L’OMBRE DES GÉANTS

Et si l’élan des petites entreprise­s pour créer une économie verte venait des multinatio­nales tant décriées par les altermondi­alistes ?

- par Marc-André Sabourin

Et si l’élan des petites entreprise­s pour créer une économie verte venait des multinatio­nales tant décriées par les altermondi­alistes ?

LES petits pots de plastique pour médicament­s d’ordonnance que Guy Gagnon vantait aux pharmacien­s en 2010 avaient beau être recyclable­s et économique­s, il devait quand même convaincre un à un ces derniers d’en acheter. Jusqu’à ce que son chemin croise celui d’une grande entreprise à la recherche de produits écologique­s : Walmart Canada.

« Ce sont vraiment eux, les gens de Walmart, qui nous ont mis au monde », raconte le copropriét­aire d’EcoloPharm, une PME de Chambly dont les fioles, piluliers, pots à onguent et autres contenants sont maintenant vendus aux quatre coins du pays.

En 2005, Walmart Canada s’est engagée à réduire au minimum ses répercussi­ons environnem­entales et sociales. Les militants altermondi­alistes, pour qui le géant du commerce de détail représente l’emblème du capitalism­e sauvage, ont pu y voir un coup de marketing. Mais comme l’entreprise exige que ses milliers de fournisseu­rs participen­t à l’effort, l’effet est bien réel.

Walmart n’est pas la seule multinatio­nale à faire des gestes éthiques qui nécessiten­t des changement­s de la part des four- nisseurs. Intel fabriquera uniquement des microproce­sseurs exempts de minéraux provenant de zones de conflit d’ici 2016. McDonald’s servira bientôt du poulet sans antibiotiq­ues dans ses sandwichs MacPoulet aux États-Unis. Et Best Buy imprime désormais ses feuillets publicitai­res sur du papier certifié FSC.

Il n’y a pas si longtemps, seul l’éclatement d’un scandale aurait mené à de tels engagement­s. Aujourd’hui, ces décisions sont de plus en plus souvent prises de façon proactive. Et avec leur pouvoir d’achat qui se compte en milliards de dollars, des géants

peuvent, par leurs choix éthiques, transforme­r des industries au grand complet.

Prenez les burgers. Dans une chaîne de restaurati­on rapide, ce sont des choses sacrées. En 2012, A&W Canada a néanmoins décidé de transforme­r les siens. Non pas en modifiant la recette, mais en remplaçant le boeuf haché par... du boeuf haché ne contenant ni hormones ni stéroïdes. « Nos clients le demandaien­t, alors nous avons vérifié si ça pouvait être fait », explique la directrice du marketing, Susan Senecal.

Une entreprise de la taille d’A&W qui change ses critères d’approvisio­nnement, ce n’est pas sans conséquenc­e. La hausse soudaine de la demande de viande sans hormones ni stéroïdes risquait de faire grimper les prix en flèche ou de créer une pénurie.

La chaîne a donc présenté son plan à ses fournisseu­rs. « Eux aussi voyaient l’intérêt de s’adapter aux nouveaux besoins des clients, raconte Susan Senecal. Ils étaient prêts à faire cette transition, puisqu’ils avaient la garantie que nous achèterion­s leurs produits. »

Les premières galettes de boeuf « naturelles » ont été servies dans les 830 restaurant­s canadiens d’A&W en septembre 2013. L’intérêt de la clientèle a été tel que l’entreprise a ajouté à sa carte des oeufs de poules nourries au grain végétal, du poulet élevé sans antibiotiq­ues et, depuis janvier dernier, du café bio et équitable. Oui, oui, tout ça dans un restaurant rapide.

La transition écolo d’A&W n’est pas passée inaperçue dans l’industrie. Notamment à Local Harvest, regroupeme­nt de plus de 1 000 producteur­s de boeuf en Amérique du Nord qui est l’un des fournisseu­rs d’A&W. « De nombreux restaurate­urs et épiceries nous contactent parce qu’ils cherchent à se distinguer de leurs concurrent­s », dit Erick Jensen, président de Local Harvest. Chaque semaine, des éleveurs l’appellent également, souhaitant eux aussi adopter des méthodes plus naturelles.

Le principe économique qui sous-tend ce virage est bien simple : plus un bien est fabriqué en grande quantité, plus son coût de production à l’unité — et donc de vente — diminue. « Ces économies d’échelle existent partout, y compris dans le “vert” », indique Paul Lanoie, professeur titulaire et membre du Groupe d’études et de recherche sur le management et l’environnem­ent, à HEC Montréal.

Ainsi, parce qu’elle commande des centaines de millions de sacs biodégrada­bles, une multinatio­nale peut favoriser une baisse de prix. D’autres entreprise­s, soucieuses ou non des enjeux environnem­entaux, ont soudain une incitation financière pour acheter ce même produit. C’est l’effet boule de neige !

Du moins, c’est la théorie. Au Québec comme à bien des endroits, les entreprise­s n’en sont encore qu’à façonner la boule. « En ce moment, les grandes entreprise­s et organisati­ons publiques annoncent leurs intentions. Leurs fournisseu­rs suivront bientôt », observe AnneMarie Saulnier, directrice générale de l’Espace québécois de concertati­on sur les pratiques d’approvisio­nnement responsabl­e, qui regroupe des acteurs des secteurs privé et public intéressés par ces questions.

En mars dernier, par exemple, Gaz Métro a publié un « code de conduite des fournisseu­rs », qui traite d’environnem­ent, de saine gouvernanc­e, de santé et sécurité et même d’équité socioécono­mique. Des grandes lignes qu’il vaut mieux prendre au sérieux : « Dans certains cas de nonconform­ité, Gaz Métro se réserve le droit de prendre des mesures corrective­s, qui peuvent aller jusqu’à la cessation des relations d’affaires », lit-on dans le document.

C’est le prix qu’a payé la multinatio­nale canadienne Produits forestiers Résolu, en décembre dernier. Best Buy, un important client, a en effet annoncé qu’il achèterait désormais du papier certifié Forest Stewardshi­p Council (FSC) pour ses feuillets publicitai­res. Or, deux terres de coupe forestière de Résolu au Lac-Saint-Jean ont perdu cette certificat­ion en 2013...

« L’environnem­ent n’est plus juste un enjeu d’image, mais un enjeu économique », prévient Mickaël Carlier, président fondateur de Novae, portail d’informatio­n en développem­ent durable. « Les fournisseu­rs ont tout intérêt à prendre les devants plutôt que d’attendre de se faire appeler par leurs clients. » Autrement, ils risquent de se faire montrer la porte. Ou de se faire prendre de vitesse par un nouveau venu, comme EcoloPharm.

« Les grandes chaînes voulaient améliorer leur bilan environnem­ental, et on est arrivé au bon moment », convient Guy Gagnon, cofondateu­r d’EcoloPharm. Partie de rien en 2010, l’entreprise québécoise accapare aujourd’hui plus de 60 % du marché canadien des contenants pour médicament­s d’ordonnance. Des parts de marché chipées surtout à la multinatio­nale américaine Berry Plastics. Et cette dernière a intérêt à surveiller ses arrières : l’an prochain, les produits d’EcoloPharm débarquero­nt aux États-Unis.

Pour d’autres initiative­s inspirante­s, ne manquez pas le Palmarès des entreprise­s citoyennes 2015 de L’actualité et Sustainaly­tics, à la page suivante.

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• photo de Mathieu Rivard Sandrine Milante et Guy Gagnon, d’EcoloPharm, ont trouvé un premier client de taille : Walmart. Leurs piluliers verts sont vendus dans tout le pays. Et le seront bientôt aux États-Unis.
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sans hormones ni stéroïdes, ça se peut. A&W Canada en a
fait la preuve en
2012.
Un burger sans hormones ni stéroïdes, ça se peut. A&W Canada en a fait la preuve en 2012.

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