L’effet de surprise
« Il faut combattre l’ennemi dans ses plans. »
Le fait que Péladeau se lance en politique crée une onde de choc dans le pays et déstabilise la campagne électorale québécoise (et le PQ !). Mais le choc n’est nulle part aussi fort que chez les conservateurs, à Ottawa, qui sont convaincus que PKP est l’un des leurs.
En novembre 2006, il donne 1 000 dollars au sénateur conservateur et banquier montréalais Michael Fortier, qui souhaite se faire élire dans Vaudreuil-Soulanges. Trois mois plus tard, il donne 500 dollars à Perle Bouchard, candidate à l’investiture du Parti conservateur dans Brome-Missisquoi, la circonscription où le patron de Québecor a son chalet.
Sur la scène provinciale, il donne au Parti libéral de Jean Charest, en 2005, 2007 et 2008 (5 000 dollars au total), à l’ADQ, de Mario Dumont, en 2007 (3 000 dollars), puis au PQ, dirigé par Pauline Marois, en 2010 et 2014 (3 200 dollars en tout). Pourquoi avoir contribué au financement de tous ces partis ? Et pourquoi si tard au PQ ? À ces questions, posées à la mi-avril alors que nous roulons de Sherbrooke à Montréal, Pierre Karl Péladeau hausse les épaules : « La démocratie s’incarne dans les partis politiques, ils ont un rôle à jouer. Parfois, ce qui fait pencher la balance, c’est la personne qui te sollicite. »
Fin juillet 2002, Péladeau se rend au camp de pêche Larry’s Gulch, sur la rivière Restigouche, au NouveauBrunswick, où le premier ministre conservateur de la province, Bernard Lord, a invité une vingtaine de personnalités à une discrète rencontre de deux jours. Certaines des plus grandes fortunes du Canada y sont : Paul Desmarais (Power Corporation), les familles Irving et McCain, Randall Oliphant (PDG de la société minière Barrick Gold), etc. Brian Mulroney et George Bush père s’y trouvent aussi.
La matinée était réservée à la pêche, l’après-midi aux affaires, se souvient le lobbyiste Fred Doucet : « Je pêchais dans la même barque que Pierre Karl. Et j’ai attrapé un plus gros saumon que lui ! » Il ajoute que PKP était « très à l’aise ». « On présumait tous qu’il était fédéraliste. Il avait acquis les journaux Sun [en 1998] en déclarant que c’était un grand jour pour le Canada ! Et il était proche de Mulroney. »
PKP est alors perçu comme un « Red Tory », un conservateur plus progressiste, dans le moule des Mulroney, Joe Clark, Jean Charest ou même Lucien Bouchard à une certaine époque. « Il n’est pas un social-démocrate, c’est certain. Mais ce n’est pas du conservatisme pur. Il est dans une troisième voie, plus au centre », affirme Michel Nadeau, de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques.
Le ministre conservateur Maxime Bernier a été étonné de voir Péladeau au PQ : « Il était favorable au libre marché et pas très prosyndicat. » De plus, PKP avait été membre, en 2011, du C.A. de l’Institut Fraser, le groupe de réflexion de droite le mieux financé au pays.
Bernier fait la connaissance de Péladeau en 2007, alors qu’il est ministre de l’Industrie. Québecor cherche à convaincre le gouvernement de permettre à de nouveaux acteurs de l’industrie du sans-fil, comme Vidéotron, d’acquérir plus facilement aux enchères des licences de spectre pour déployer leur réseau cellulaire et concurrencer les géants Bell, Telus et Rogers (propriétaire de L’actualité).
PKP a un plan. « Faire de la politique à Ottawa, on sait comment ça fonctionne. Il faut cogner à toutes les portes », dit-il. En janvier 2007, il se rend à Ottawa pour un têteà-tête avec le premier ministre, Stephen Harper, dans son bureau de l’édifice Langevin, en face du parlement.
Quelques mois plus tard, Québecor devient un commanditaire majeur du Centre national des Arts (CNA), situé en face du bureau du premier ministre. Le CNA est l’organisme chouchou de la femme de Stephen Harper, Laureen.
En septembre 2007, Laureen invite des commanditaires du CNA à la résidence du premier ministre. Pierre Karl Péladeau s’y rend avec Julie Snyder et leurs deux enfants. Le couple sera de nouveau invité à souper au 24 Sussex en septembre 2009 — cette fois en privé et sans enfants.
Laureen aime l’énergie et la joie de vivre de Julie. Lorsqu’elle accompagne le premier ministre à Montréal, elle l’appelle. Harper, qui cherche à accentuer ses liens avec des personnalités québécoises, trouve Péladeau « rafraîchissant » et « drôle ». Il offre même un poste de sénatrice à Julie ! La célèbre animatrice refuse. C’est l’entraîneur de hockey Jacques Demers qui acceptera le poste.
À la même époque, Québecor lance une chaîne télévisée populiste de droite, dans la lignée des journaux Sun, que l’entreprise possède au Canada anglais. C’est l’ex-directeur des communications de Harper, Kory Teneycke, qui prendra la tête de Sun News (la chaîne a fermé en février 2015).