L’actualité

Obéir au doigt et à l’oeil

« Vous devez m’écouter attentivem­ent et m’obéir dans tout ce que je vous commandera­i. »

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« Péladeau, libéraux, même combat ! » La trentaine de manifestan­ts massés à l’extérieur du pavillon Jean-Brillant, de l’Université de Montréal, attendent Pierre Karl Péladeau avec leurs pancartes. « Le vent de droite ne passera pas ! » scandent-ils en cet après-midi froid du 27 novembre 2014.

À l’intérieur, le député de Saint-Jérôme termine un discours devant une salle de 400 étudiants conquis d’avance, qui ont eu droit à une envolée sur des sujets disparates : ses études à Paris, les droits de scolarité, la pollution en Chine, le canal de Panamá, l’héritage de son père, les oléoducs, l’électrific­ation des transports, la convergenc­e à Québecor...

En réponse à la première question, il évente le secret le moins bien gardé de l’automne politique. « Je serai candidat dans la course à la chefferie », dit-il.

En quittant l’amphithéât­re, son attaché de presse, MarcAndré de Blois, et son directeur de campagne, Alain Lupien, lui indiquent une porte de côté pour éviter les manifestan­ts. « Non, on passe par là », lance-t-il en fonçant vers la sortie, son équipe sur les talons. Une escorte de policiers devra finalement le raccompagn­er à sa voiture.

« On a droit à la libre circulatio­n dans ce pays ; j’ai décidé que je passais par la porte, c’est tout », me dira-t-il plus tard. Pierre Karl Péladeau n’aime pas qu’on lui dicte la marche à suivre… quitte à piler sur certains orteils.

À l’Assemblée nationale, des députés péquistes sont en furie. Ce jour-là, leur parti tente de faire adopter une motion de censure pour renverser le gouverneme­nt, qui a rompu sa promesse de ne pas hausser les tarifs de garderie subvention­née au-delà de l’inflation. Le premier ministre, Philippe Couillard, étant majoritair­e, la motion est vouée à l’échec, mais les députés du PQ sont au poste pour clamer que le gouverneme­nt est en train de « détruire le Québec ». En quelques minutes, l’annonce de Péladeau à l’Université de Montréal monopolise l’espace médiatique, et la motion disparaît des manchettes. « Ça ne faisait pas très joueur d’équipe », lance en privé un député qui n’avait pas encore choisi son camp.

Or, la garde rapprochée de PKP ne savait pas qu’il annoncerai­t sa candidatur­e à cette date ! « Si on l’avait su à l’avance, ça aurait été plus facile, mais il ne voulait pas nous le dire », explique Alain Lupien, à la permanence de l’équipe Péladeau, rue Saint-Hubert, à Montréal. Depuis la mi-novembre, l’équipe était sur le qui-vive. « Pierre Karl y allait au feeling. J’avais dit à ma gang d’être prête. À chaque discours, je pensais que ça y était ! »

Que de stress pour un organisate­ur de campagne ! « Il faut le laisser aller, il est comme ça. On va composer avec ses qualités et ses défauts, ce n’est pas un politicien comme les autres », dit Alain Lupien, 55 ans, qui a fait la connaissan­ce de PKP lorsque celui-ci a été élu.

Péladeau avoue imposer une loyauté sans faille à ses collaborat­eurs. « Rien n’est plus important », dit-il. Luc Lavoie l’a souvent constaté lorsqu’il était à ses côtés à Québecor : « Il faut se lever de bonne heure pour le contredire, et être prêt à affronter la tempête ! »

Militant au PQ depuis 1973, Alain Lupien a été chef de cabinet de la ministre de l’Immigratio­n, Diane de Courcy,

dans le gouverneme­nt Marois. Mais c’est comme organisate­ur de la campagne à la direction d’André Boisclair, en 2005, qu’il s’est fait remarquer. Avec l’homme d’affaires Louis-Philippe Bourgeois — encore de la partie dans l’équipe de PKP —, il avait permis à Boisclair de l’emporter au premier tour contre Pauline Marois.

Dans le camp du député Alexandre Cloutier, on pensait profiter de leur expérience. Dès juillet, Bourgeois et Lupien avaient participé aux réunions d’organisati­on du plus jeune candidat de la course. Geneviève Décarie, autrefois directrice de l’organisati­on au Bloc québécois, était aussi présente. « Les trois trouvaient notre approche bien intéressan­te », raconte, sourire en coin, Félix-Antoine Michaud, directeur de la campagne de Cloutier et avocat au cabinet Melançon Marceau Grenier et Sciortino.

Tout l’été, Alexandre Cloutier tient des réunions avec des militants du PQ. L’appartemen­t de Félix-Antoine Michaud, à Montréal, sert à accueillir ces séances en groupes de 10 à 15 personnes. Le député de Lac-Saint-Jean consulte aussi les ex-premiers ministres Lucien Bouchard et Bernard Landry. « On n’a pas parlé à Pauline Marois ; elle faisait déjà des appels en faveur de Pierre Karl ! » dit Michaud.

Le 7 septembre, Cloutier se rend chez Jacques Parizeau. Il lui explique que, s’il se lance, il placerait l’éducation en tête de ses priorités. En fin de journée, il appelle son directeur de campagne.

« Félix, j’ai une bonne et une mauvaise nouvelle, dit-il. La bonne, Parizeau aime mes idées. — Super ! Et la mauvaise ? — Bourgeois, Lupien et Décarie s’en vont avec Pierre Karl. Ils viennent de m’appeler. »

« J’ai fumé trois cigarettes avant que ma frustratio­n passe ! » rigole Michaud.

« J’aime bien Alexandre, mais c’était clair que si Pierre Karl se lançait, on allait avec lui », m’expliquera Alain Lupien, qui qualifie de « flirt sympathiqu­e » sa courte collaborat­ion avec l’équipe Cloutier. « Péladeau incarne la crédibilit­é économique de la souveraine­té. C’est ce qu’on cherche depuis longtemps pour rassurer les Québécois inquiets. »

Le trio de tête de l’équipe Péladeau monte une organisati­on complète dès septembre. « On a dit à Pierre Karl de prendre son temps, de bien y penser, parce que le PQ, c’est tout un bateau à diriger ! Mais d’instinct, il savait que ce ne serait pas facile », raconte Lupien.

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idées », dit-il à son directeur de campagne.
Le 7 septembre, Alexandre Cloutier se rend chez Jacques Parizeau. « Il aime mes idées », dit-il à son directeur de campagne.

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