Prendre le contrôle du terrain
« À la guerre, tout est affaire de rapidité. On profite de ce que l’autre n’est pas prêt, on surgit à l’improviste. »
Le samedi 4 octobre 2014, Jean-François Lisée entre dans la salle de réception de l’hôtel Delta, à Sherbrooke, avec appréhension : sera-t-il hué par les 200 bonzes du PQ réunis pour la Conférence nationale des présidentes et présidents (CNPP) ?
Le député de Rosemont est en terrain hostile dans son propre parti. La veille, il a été le premier à attaquer dans cette course à la direction naissante. « On fait de la
politique ou on est patron de presse, les deux choix sont très légitimes, mais on ne peut pas faire les deux en même temps », avait-il lancé aux journalistes à propos de PKP. Une « bombe à retardement » qui fera obstacle « à la capacité du Parti québécois de prendre le pouvoir ».
Il n’y a pas eu de huées, mais la réaction des militants est épidermique. Dans les circonscriptions, le ressac est instantané. « On s’est fait reprocher cette sortie. Ça nous a nui énormément », explique Geneviève Marsan, directrice de la campagne de Jean-François Lisée.
Tout l’automne, des militants refusent de signer le bulletin de mise en candidature du député. Certains insultent même ses bénévoles. « Les sympathisants de Pierre Karl étaient très agressifs, dit Geneviève Marsan. On avait l’impression que le PQ n’était plus un parti de débats. »
Attristé par la réaction des militants, Jean-François Lisée dira plus tard : « Jamais, de toute ma vie, on ne m’a autant sommé de me taire. »
Aux yeux des militants, surtout les plus âgés, Péladeau n’est pas seulement le meneur, il est le « sauveur », celui qui fait renaître l’espoir d’accéder à l’indépendance. Ses propriétés médiatiques sont perçues comme un atout. « Pour une fois qu’on peut avoir des médias de notre bord », me dira Alain, un militant d’une cinquantaine d’années, au lancement de la campagne de PKP, le 30 novembre.
Mais en ce samedi d’octobre au CNPP, pendant que Lisée gère les contrecoups de sa sortie, les troupes de Martine Ouellet, Bernard Drainville, Alexandre Cloutier et Pierre Céré s’activent à recueillir les coordonnées des organisateurs et présidents de circonscription. Car ce sont eux qui ont l’information la plus précieuse : les noms des membres du PQ, les seuls qui peuvent signer les bulletins des candidats.
Amasser les 2 000 signatures requises dans au moins 50 circonscriptions de neuf régions s’avère une tâche titanesque sans la liste des membres, que les instances du parti refusent de fournir aux équipes. Or, si la liste officielle est secrète, des listes par région ou circonscription circulent. « Les présidents et les organisateurs locaux ont au moins la liste de leurs membres. On a besoin d’eux », dit Stevens Héroux, directeur de la campagne de Martine Ouellet.
Les candidats mettront des semaines pour amasser les signatures. L’équipe de Péladeau n’a pas ce problème. Devant une carte du Québec épinglée sur le mur de la permanence du candidat, Alain Lupien et Geneviève Décarie montrent les petits points de couleur qui tapissent les 125 circonscriptions. Chacun représente un de leurs organisateurs. Il y en a 350.
« On a décidé de prendre le contrôle du terrain avant que Pierre Karl annonce sa candidature », raconte Geneviève Décarie. Fin novembre, cette force de frappe permet d’amasser plus de 5 000 signatures en quatre jours !
Lorsque PKP dépose son bulletin à la permanence du parti, le 1er décembre, les autres clans sont soufflés. « C’est rapide ! Il y a un peu d’intimidation là-dedans », dit Stéphane Gobeil, directeur de la campagne de Drainville.
Alain Lupien s’en défend : « Ce n’est pas pour intimider les autres candidats, c’est un message aux membres du parti et aux Québécois. On pense déjà à l’après-course. On veut montrer que le PQ n’est pas mort, qu’il peut se mobiliser. »