L’actualité

Le nouvel adversaire

« Lorsque l’adversaire tarde à engager le combat, sans toutefois se retirer, il faut faire preuve de circonspec­tion. »

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Le soir du 27 novembre, pendant que la faune médiatique et la classe politique n’en ont que pour l’annonce-surprise de Péladeau faite plus tôt à l’Université de Montréal, 200 militants du PQ sont rassemblés dans un resto-bar de la Plaza Saint-Hubert, à Montréal. Ils sont venus entendre Alexandre Cloutier.

Des étudiants sirotent une bière, des retraités un verre de rouge, des enfants courent parmi les participan­ts, des bénévoles recueillen­t des dons et font signer le bulletin de candidatur­e. Micheline, une militante dans la soixantain­e, est venue de Laval. « Il est rafraîchis­sant et marque une rupture avec l’image vieillissa­nte du PQ », me dit-elle.

Sur scène, son discours est différent de ceux que les autres candidats ont l’habitude d’adresser aux militants. Il présente l’éducation comme sa « grande priorité » et ne parle de souveraine­té qu’à la fin. Il descend en flammes l’attitude de son gouverneme­nt dans le dossier de la charte des valeurs. « On doit être le parti de tous les Québécois, sans exclusion. On a un lien de confiance à reconstrui­re », lance-t-il.

En voyant les militants applaudir longuement un candidat dont le fief est au Lac-Saint-Jean, à plus de 400 km de Montréal, Félix-Antoine Michaud esquisse un sourire. « Il se passe quelque chose », dit-il.

Les autres camps le sentent aussi. Alexandre Cloutier n’apparaissa­it pas sur l’écran radar des sondeurs à la fin de l’été. Il n’était jamais cité dans le trio de tête de la course : PKP, Lisée et Drainville. Pourtant, il rassemble 200 personnes de tous les âges un soir de semaine dans la métropole, au moment où le favori confirme ses prétention­s.

Le clan Drainville est le plus déstabilis­é par ce nouvel adversaire. Le député de Marie-Victorin se percevait comme l’opposant naturel de PKP. Il souhaitait une course à deux afin de se rallier les anti-Péladeau.

« On roule dans la gravelle, c’est rough », me dit, début décembre, Stéphane Gobeil, directeur de la campagne de Drainville. « Cloutier a eu un bon départ. »

Certains sondages Léger placent Alexandre Cloutier en deuxième position, au coude-à-coude avec Drainville et Ouellet. « J’échangerai­s un mois de campagne sur le terrain contre un seul sondage qui nous place clairement deuxièmes ! » lance Gobeil.

Deux semaines plus tôt, le camp Drainville a obtenu les résultats d’un sondage téléphoniq­ue qu’il a commandé afin de savoir à quoi ressemble le champ de bataille. Mené auprès de 801 membres en règle du PQ, c’est le premier à sonder seulement ceux qui auront le droit de vote en mai.

Le titre de l’analyse que Bernard Drainville reçoit le 18 novembre est limpide : Tous les espoirs sont permis, mais

la pente est rude ! En introducti­on, on lit : « Les résultats des intentions de vote sont similaires à ce qu’on a vu dans les sondages de Léger, soit une forte avance de PKP (52 %), suivi loin derrière par Bernard Drainville (10 %) et Cloutier (9 %), avec Lisée (6 %) et Ouellet (4 %) en queue de peloton. Si le premier tour avait eu lieu la semaine dernière, PKP l’aurait emporté au premier tour, mais par la peau des fesses. » Près de 20 % des péquistes se disent indécis, et 44 % disent qu’ils peuvent encore changer d’idée.

La bonne nouvelle : Drainville est le deuxième choix du plus grand nombre de militants (21 %). Il a donc un potentiel de croissance. La mauvaise nouvelle : il partage les mêmes partisans que Péladeau. Il ne pourra donc pas compter sur eux dans un éventuel deuxième tour.

C’est avec ce coup de sonde en tête que l’équipe Drainville décide de relancer la question de la laïcité. Près de 43 % des membres du PQ estiment que le combat livré par Drainville pour la charte de la laïcité est une bonne raison de voter pour lui (47 % disent le contraire). L’idée de proposer une charte de compromis, une version 2.0, recueille l’appui de 66 % des membres. « Autant l’utiliser à notre avantage, me dit Stéphane Gobeil. Il y a une frange au PQ qui n’aime pas ce qu’on a fait de la charte des valeurs, mais il y a aussi un gros pourcentag­e qui aime ce qu’a fait Bernard, qui a pris les coups pour le parti. »

En janvier, Drainville dévoilera sa nouvelle mouture de la charte et l’utilisera dans ses allocution­s, affirmant qu’il a été « testé dans l’adversité », qu’il est « prêt à servir », allusion à l’inexpérien­ce politique de PKP.

Le coup de sonde interne montre aussi que l’ambiance est morose au PQ et que l’espoir de réaliser rapidement l’indépendan­ce est faible. Même avec PKP dans le paysage, 57 % des répondants ne souhaitent pas tenir un référendum dans un premier mandat, contre 38 %. Près de 28 % des membres croient que la souveraine­té ne se fera jamais, tandis que 27 % pensent que si elle se réalise, ce sera dans plus de 10 ans.

L’équipe Drainville comprend que la carte maîtresse de Martine Ouellet — promettre un référendum dans un premier mandat du PQ — aura peu d’effet sur la course.

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Drainville est le plus déstabilis­é par ce nouvel adversaire qu’est Alexandre
Cloutier.
Le clan de Bernard Drainville est le plus déstabilis­é par ce nouvel adversaire qu’est Alexandre Cloutier.

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