L’actualité

Comprendre ses faiblesses

« Qui ne réfléchit pas et méprise l’ennemi sera vaincu. »

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Les 500 partisans de Pierre Karl Péladeau sont à la fête en ce dimanche 30 novembre. Le député lance officielle­ment sa campagne dans le gymnase d’une école de Saint-Jérôme, décoré de petites lumières blanches qui scintillen­t au plafond et deux écrans géants de part et d’autre de la scène.

Les bénévoles arborent un chandail de hockey bleu où est inscrit, bien en évidence, « PKP 2015 », avec un gros numéro 1 au dos. Le slogan de la campagne est affiché partout : « Réussir ».

Au fond de la salle, un gaillard de 6 pi [1,83 m], André Lafrenet, 55 ans, attend le discours avec impatience. Il n’était plus membre du PQ depuis des années, mais il vient de reprendre sa carte. Il a aimé que PKP brandisse le poing aux dernières élections. « Il n’est pas ici pour son fonds de pension, certain ! Il n’a rien à gagner, sauf nous mener au pays », dit-il, ajoutant qu’il a un peu de difficulté avec les positions antisyndic­ales passées de Péladeau, mais qu’il est prêt à passer l’éponge. « C’est quoi, le plus important ? Les conflits de travail ou la souveraine­té ? C’est évident. »

Dans la foule, le même message revient en boucle : PKP peut gagner. « Péladeau fait vibrer une corde émotive très forte chez les péquistes, il donne de l’espoir, affirme le sondeur Jean-Marc Léger. Ça fait 20 ans qu’au mieux ils remportent des victoires morales. » Lors des deux dernières élections, le PQ n’a pas franchi la barre des 33 % d’appuis. Le dernier triomphe majoritair­e remonte à 1998, avec Lucien Bouchard. Un gain refroidi par le fait que le PLQ de Jean Charest avait remporté plus de votes au total que le PQ, ce qui fermait la porte à un référendum revanche.

L’ancien premier ministre Bernard Landry monte sur scène et fait le « V » de la victoire avec ses doigts. « Le vent se lève, dit-il. Nous sommes des militants de la patrie, et rien ne nous arrêtera dans une course aussi noble. » Landry, un des premiers partisans de Péladeau, ne fournira toutefois pas un sou à la campagne de celui-ci, préférant donner 400 dollars à Martine Ouellet.

Péladeau commence son allocution en parlant de son père, qui serait « très fier ». « Il a toujours voulu montrer que les Québécois ne sont pas nés pour un petit pain. » Sa voix se brise quand il évoque sa mère. La foule l’encourage.

Dans son discours de 55 minutes, il affirme que le plus grand problème du PQ est qu’il ne s’affirme plus clairement comme indépendan­tiste.

« Les Québécois estiment que notre projet n’est pas clair. Ils ont perdu de vue les raisons. Il faut faire une minutieuse démonstrat­ion de ce qu’apporterai­t le pays. » Il ajoute : « Notre cause avancera sous un étendard qu’elle ne cachera plus jamais. Celui du pays du Québec. » Conscient qu’il ne pourra séduire l’aile gauche du PQ en raison de son passé, il termine par un retentissa­nt : « Je serai le candidat de la souveraine­té », qui vise à rassembler la base du parti.

Au même moment, je reçois un texto. « On connaît maintenant le thème des prochaines élections », m’écrit un stratège libéral qui écoute le discours sur la chaîne LCN.

Mais le PQ ne pourra se contenter de parler d’indépendan­ce, estime Jean-François Lisée, qui a fait le « pari de la franchise » en ciblant une série de problèmes à régler. « La majorité des Québécois, y compris francophon­es, sont aujourd’hui réfractair­es au référendum et à l’indépendan­ce. Les actions de Pierre Karl vont poser un problème politique. Les jeunes nous ont tourné le dos. La diversité québécoise ne se reconnaît pas en nous. Notre attitude dans le débat sur la charte y est pour beaucoup. Notre flirt avec le pétrole de schiste nous a rendus écologique­ment incohérent­s. »

Le député de Rosemont a disséqué les allégeance­s de l’électorat avec les sondeurs du PQ après la cinglante défaite d’avril 2014. La question nationale ne sera pas suffisante pour attirer les 40 % d’électeurs qui se déclarent souveraini­stes dans les sondages depuis 1995.

Pourquoi ? D’abord, ce chiffre de 40 % inclut les indécis, qui n’ont pas pris position sur le sujet. Ensuite, les sondages du PQ menés par le Groupe de recherche sur l’opinion publique révèlent qu’une catégorie d’électeurs est en hausse depuis 20 ans : les centristes.

Les centristes peuvent se déclarer souveraini­stes ou fédéralist­es dans les sondages, mais leur choix électoral ne s’effectue pas en fonction de la question nationale. Ils veulent parler de santé, d’éducation, de finances publiques ou d’économie avant tout. Ce groupe rassemble près de 30 % de l’électorat, comparativ­ement à 21 % en 1995.

« Le constat est clair », dit Lisée, qui a évoqué la hausse des centristes dans son récent livre, Le journal de Lisée. « Il n’y a désormais que 28 % de l’électorat qui est mobilisabl­e sur la question de la souveraine­té. C’est proche du vote péquiste d’avril 2014, soit 25 %. Il n’y a pas de réservoir de 15 % de souveraini­stes supplément­aires qui auraient quitté la barque parce que le PQ n’insiste pas suffisamme­nt sur l’indépendan­ce. » C’est la raison pour laquelle Pierre Karl Péladeau, qui incarne l’indépendan­ce, a un avantage dans la course, mais qui se transforme en arme à double tranchant dans la population, estime Jean-Marc Léger. « On l’adore ou on le déteste. Il ne laisse personne indifféren­t. »

Le premier sondage Léger qui a testé les intentions de vote avec Péladeau comme potentiel chef du PQ, en novembre 2014, donnait 36 % d’appuis au parti souveraini­ste, contre 30 % aux libéraux. Ce résultat a galvanisé les partisans de Péladeau et confirmé son avance dans la course.

Pourtant, ce taux a fait sourciller les stratèges péquistes d’expérience. Le premier coup de sonde est généraleme­nt le meilleur, puisque le futur chef n’a encore pris aucune position qui déplaît à l’électorat. Or, André Boisclair, Pauline Marois et François Legault récoltaien­t plus de 45 % avant de revenir en politique à la tête de leur formation.

« Ce n’est pas énorme, 36 % », confirme Léger. Or, le PQ a besoin de conquérir de nouveaux territoire­s pour redevenir une force, pas seulement de motiver les convaincus.

Pierre Céré, qui se décrit à la blague comme « l’autre Pierre de la course » en raison de son manque de notoriété, estime que son parti a besoin d’une « bonne dose d’humilité ». Il est inquiet de ce qu’il entend dans les rangs du PQ : l’idée qu’un changement de chef réglera les problèmes.

Lors d’un débat à l’Université Laval, le 18 mars, Pierre Céré constate que la salle est, encore une fois, remplie de têtes grises. « Qu’avons-nous fait pour que nos enfants et petits-enfants ne soient pas avec nous ? demande-t-il aux 350 militants. Notre jeunesse vit à l’ère de la diversité culturelle. Avec le repli identitair­e qui a caractéris­é le PQ depuis 2007, elle nous regarde comme un vieux parti. Il faut oser le dire. » La salle répond par un silence embarrassé.

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Le PQ ne pourra se contenter de parler d’indépendan­ce, estime Jean-François Lisée, qui a fait le « pari de la franchise ».

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