L’actualité

Étudier le champ de bataille

« Qui ignore la nature du terrain ne pourra faire avancer ses troupes. »

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Fin janvier, Pierre Karl Péladeau entame une grande tournée du Québec. Malgré le froid et la neige qui glacent les routes, il se rend en Abitibi, en Gaspésie, sur la Côte-Nord, à Chibougama­u… « Il n’a pas fait le tour du Québec comme ministre, alors il doit aller voir les gens chez eux, comprendre ce qu’ils vivent. C’est l’expérience qui rentre », dit son directeur de campagne, Alain Lupien. Il n’acceptera pas d’être accompagné par un journalist­e dans cette tour- née. La simple présence de nouveaux collaborat­eurs dans son équipe l’agace, alors un journalist­e…

Péladeau est un solitaire. Il peut rouler des heures en voiture sans parler, la radio éteinte, dans sa bulle, sans s’arrêter pour manger. « Gagner sa confiance n’est pas simple », dit Robert, son chauffeur et garde du corps depuis sept ans.

Cette tournée lui permettra d’établir des repères, lui qui, à chaque nouvelle étape de sa carrière, va sur le terrain pour comprendre dans quoi il vient de s’embarquer.

En France et en Grande-Bretagne, au milieu des années 1990, les pressiers de la division imprimerie de Québecor Europe étaient surpris de voir débarquer le grand patron à l’usine. PKP change alors les lourdes pièces des rotatives, discute avec les ouvriers. En 2000, lorsque Québecor achète Vidéotron, il grimpe dans des poteaux pour installer le câble avec les technicien­s. « Il faut comprendre un peu le métier pour savoir de quoi on parle. Je me faisais dire : “Qu’est-ce qu’il connaît dans le câble et la télé, lui, il ne viendra pas nous dire quoi faire !” Je voulais performer et je n’avais pas 25 ans devant moi », dit-il.

Il a fait de même pour les langues. À Paris, alors qu’il dirige Québecor Europe, il s’inscrit au Goethe-Institut pour apprendre les rudiments de l’allemand. Sa première femme, Isabelle Hervet, fille d’un riche banquier français, est allemande du côté de sa mère, et il veut pouvoir converser avec sa famille de Francfort. Il étudiera aussi l’espagnol et séjournera à Florence pendant quelques mois pour se familiaris­er avec l’italien.

Il épouse Isabelle Hervet lors d’une cérémonie où officie nul autre que Nicolas Sarkozy ! À l’époque, le futur président est maire de Neuilly-sur-Seine, en banlieue de Paris. C’est là que le couple Péladeau-Hervet a son appartemen­t — que PKP possède encore.

C’est son ami Bertrand P. Ménard qui conduit le couple à la salle de réception dans une petite berline Renaud. « Pierre Karl n’a jamais aimé les voitures de luxe », dit-il. Le contraste est saisissant lorsqu’il se gare devant le cercle de l’Union interallié­e, un des plus chics clubs privés de Paris. « C’était un mariage très vieille France, bon ton et bon genre, dit Ménard. J’ai appris à la fin du repas que j’avais une comtesse à ma table ! »

Une fois l’orchestre parti, en fin de soirée, Péladeau et ses amis font résonner leurs succès de jeunesse dans la chaîne stéréo de la salle aux lustres de cristal. « On a dansé. C’est probableme­nt la seule fois de l’histoire que les Stones ont joué entre les murs de l’Interallié­e ! » rigole Ménard.

Péladeau a toujours entretenu ce côté bad boy, raconte Luc Lavoie. « Il aime l’humour irrévérenc­ieux. Il aime quand ça grince des dents un peu. »

Le 22 avril 2011, jour de la Terre, lorsque le provocateu­r Ezra Levant ouvre son émission à Sun News en coupant un sapin à la scie mécanique, Péladeau s’amuse comme

un fou devant la télé dans son bureau. « Il appelait ses collaborat­eurs pour leur dire de regarder Levant habillé en bûcheron décapitant un arbre. Il trouvait ça très drôle », raconte un cadre.

Au début des années 2000, lors d’un souper chez l’expremier ministre Brian Mulroney, à Westmount, les invités attendent le couple Péladeau-Snyder depuis plus d’une heure. « Il est encore en retard », s’exclame Jacqueline Desmarais, présente avec son mari, Paul Desmarais, ainsi que Jean Charest, alors chef de l’opposition, et des cadres de la direction de la Caisse de dépôt et placement.

Le couple arrive vers 19 h 30, lui avec la cravate en berne, la chemise un peu froissée sortie de son pantalon, elle avec les cheveux décoiffés… Les Desmarais se tortillent sur leur chaise en les voyant arriver. « Il a fait exprès pour les provoquer, raconte un invité. Pierre Karl a toujours trouvé que le domaine Sagard était une insulte au peuple, un clinquant qui lui lève le coeur. »

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