L’actualité

Enrôler des alliés

« Qui ignore les objectifs stratégiqu­es des autres princes ne peut conclure d’alliance. »

-

Dans le stationnem­ent du Sheraton Laval, Alexandre Cloutier sautille sur place afin de se réchauffer en ce matin du 7 février. Il attend Véronique Hivon pour entrer à ses côtés au Conseil national du PQ, qui regroupe près de 500 militants.

Deux jours plus tôt, le ralliement à sa campagne de la populaire députée de Joliette a fait grand bruit, même si PKP et Drainville ont déjà plus d’appuis dans le caucus. « Les mots “Véronique Hivon” ont été les plus utilisés sur les réseaux sociaux ce jour-là, le buzz est bon », raconte Jean Briand, directeur des communicat­ions de Cloutier.

Lorsque Véronique Hivon rejoint Cloutier dans le stationnem­ent, un militant montréalai­s d’une cinquantai­ne d’années s’approche. « Je veux vous serrer la main. Vous remercier », dit-il, en évoquant la bataille politique qu’elle a menée pour l’aide médicale à mourir. « Puis-je vous présenter Alexandre Cloutier ? » demande-t-elle en se tournant vers le candidat, heureux du magnétisme de sa recrue.

L’entrée en scène d’Hivon, puis du doyen de l’Assemblée nationale, le député d’Abitibi-Ouest, François Gendron — élu sans interrupti­on depuis 37 ans —, donnera une formidable poussée au clan Cloutier.

Les équipes jouent des coudes pour convaincre les six députés encore non alignés, qu’on surnomme « les Suisses » en raison de leur neutralité. La veille du Conseil national, lors du long débat parlementa­ire sur le projet de loi 10 en matière de santé — adopté sous le bâillon dans la nuit —, Sylvain Gaudreault, une prise de choix en raison de son expérience et de son ascendant dans le parti, a vu défiler à son bureau de l’Assemblée nationale tous les candidats au leadership. « Il aurait pu donner un numéro à chacun et leur dire de se mettre en ligne ! » lance un député qui s’amusait du va-et-vient. Le député de Jonquière se ralliera finalement à Drainville pour son parti pris environnem­ental, puis à PKP à la fin de la course.

Avant de rencontrer les journalist­es dans le hall du Sheraton, l’équipe Cloutier fait une réunion pour éviter les dérapages. « Je dis quoi sur la controvers­e de Rouyn-Noranda ? » demande Cloutier. Ce matin-là, La Presse relatait l’esclandre fait par Pierre Karl Péladeau au Festival de musique émergente d’Abitibi-Témiscamin­gue, lorsqu’il a crié : « En français, SVP ! » au groupe québécois Groenland, connu pour sa musique en anglais. « Rien, ce n’est pas ta controvers­e », suggère Véronique Hivon. Cloutier acquiesce.

À 23 h 30, le 29 janvier, Alain Lupien avait reçu un appel de son organisate­ur local le prévenant que le cri du coeur de Péladeau, mal reçu par des spectateur­s, pourrait faire les manchettes et occulter la bonne journée passée sur le terrain. « Il nous donne du travail », rigole Lupien quand j’évoque l’incident. « Mais il a cette qualité d’être spontané. Il va apprendre à doser. »

La réunion de l’équipe Cloutier porte ensuite sur la disparité dans le traitement des données d’un nouveau sondage paru le matin. Avec le même coup de sonde Léger,

Le Devoir titre : « PKP perd des plumes », son appui chez les sympathisa­nts péquistes étant passé de 68 % à 63 % en deux mois. Le Journal de Montréal a choisi de ne pas mettre en évidence cette donnée, illustrant sa manchette par des photos de Péladeau et du premier ministre, Philippe Couillard, sous le titre : « Nez à nez » — le PQ et le PLQ obtiennent chacun 32 % des intentions de vote.

« Québecor est outrageuse­ment favorable à PKP, comme s’il était déjà chef de l’opposition ! » tonne Ludovic Soucisse, un des conseiller­s de Cloutier. Là encore, on décide qu’un « pas de commentair­e » sera préférable si les journalist­es abordent le sujet. « On se concentre sur ce qu’on a à offrir. C’est la stratégie depuis le début », dit Jean Briand.

Après un point de presse, Alexandre Cloutier grimpe à son quartier général temporaire, établi dans la chambre de Briand au Sheraton. Le chaos règne dans la pièce. Trois portables sont ouverts sur une table, des boîtes de brochures sont dispersées par terre, et une dizaine de bénévoles, assis sur le lit, reçoivent les instructio­ns d’une organisatr­ice. Elle leur remet une pochette contenant les positions de Cloutier sur une foule de sujets. Leur mission, une fois de retour dans leur région, sera de recruter des membres. « On profite du Conseil national pour les former », dit Cloutier.

Dans le camp Péladeau, la bénévole la plus importante est aussi son arme de séduction massive : Julie Snyder. L’animatrice aime la politique. Le 27 mars, pendant que

Péladeau était enfermé avec son équipe pour préparer le deuxième débat des candidats, qui aurait lieu deux jours plus tard, elle n’a pas hésité à participer à la grande opération « adhésion » de la campagne de son conjoint. Des dizaines de bénévoles se sont dispersés près des stations du métro de Montréal pour recruter des membres — le clan Péladeau affirme avoir vendu plus de 10 000 cartes pendant la course, plus que tous les autres candidats réunis.

« C’est Julie qui en a vendu le plus ! » raconte Marc-André de Blois, attaché de presse de Péladeau. Dans les dépanneurs, salons de coiffure et autres petits commerces près du métro Beaubien, elle est reçue avec chaleur, comme un membre de la famille.

Son capital de sympathie auprès du grand public, bâti depuis ses débuts à l’émission L’enfer c’est nous autres, dans les années 1990, puis entretenu avec Star Académie et Le

banquier, est une arme politique redoutable. « Les fédéralist­es ont bien plus peur du couple Snyder-Péladeau que du PQ ! » affirme Alain Lupien.

Julie Snyder est également l’alliée secrète des conseiller­s de Péladeau. Elle peut raisonner son conjoint, l’inciter à changer d’attitude ou de tactique, ce que peu de gens réussissen­t. Un soir de mars, à la maison, après un nouvel accrochage de PKP avec les journalist­es, elle serre son conjoint dans ses bras et lui glisse à l’oreille : « Il faut que tu acceptes ça, parce que ça vient avec le métier. Sinon, tu vas être malheureux. » Pierre Karl Péladeau lui dit simplement : « Tu as raison. » Les points de presse seront désormais moins orageux.

Si Péladeau devient moins impétueux avec le temps, c’est beaucoup grâce à Julie Snyder, soutient Michel Nadeau. « Elle a un sens social qui fait défaut à Pierre Karl. Elle l’inspire, le propulse », dit-il.

Newspapers in French

Newspapers from Canada