L’actualité

Doser l’offensive

« Triompher au combat et mériter les applaudiss­ements de la foule, ce n’est pas l’art suprême. »

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Alexandre Cloutier arrive à son nouveau local de campagne, à Montréal, vers 8 h 30, les yeux rougis par la fatigue. La veille, le 5 mars, il a enregistré l’émission Tout le monde en

parle. Le souper avec les invités et les animateurs s’est achevé à 2 h 30 du matin. « Je pense que Guy A. Lepage aurait voulu un peu de controvers­e pour pimenter la course, mais on ne peut pas aller là contre PKP », raconte Félix-Antoine Michaud, qui était présent à l’enregistre­ment.

Le petit local de la rue Saint-Dominique, coin Saint-Laurent, n’a rien du quartier général de l’équipe Péladeau. Un sol en ciment, des tables et chaises en plastique louées. Quelques minutes après l’arrivée de Cloutier, un technicien de Vidéotron vient installer le téléphone et Internet — ce qui déclenche quelques blagues sur « l’espionnage » de Péladeau, que le technicien ne semble pas comprendre.

Pas le temps de se reposer : la préparatio­n du premier débat de la course, le 11 mars, à Trois-Rivières, ne peut attendre. L’équipe passe en revue son fonctionne­ment. La direction du PQ a fourni les grands thèmes, mais pas les questions. Cloutier dirige la discussion. « Comment je peux me démarquer avec un meneur que je ne peux pas attaquer de front ? » demande-t-il. Et s’adressant à son conseiller Ludovic Soucisse, il dit : « Je veux que tu visionnes les primaires entre Hillary Clinton et Barack Obama. Comment Obama a fait pour gagner, même si elle était en avance et très appréciée des démocrates ? »

Soucisse reviendra avec la réponse quelques jours plus tard : « Obama était parfois dur, mais jamais personnel. Il se voulait inspirant. Il parlait de ce qu’il allait faire une fois à la présidence, pour que les gens l’imaginent dans ce rôle. »

Cloutier aime ce qu’il entend. « On est sur la bonne voie. On parle de ce qu’on va faire, pas de ce que PKP veut faire », dit-il. Le premier débat sera préparé en conséquenc­e.

L’équipe convient qu’il est inutile de batailler bec et ongles sur l’économie avec le meneur, même s’il a proposé peu d’idées concrètes. « Il incarne l’économie, il n’a pas besoin de dire quoi que ce soit », affirme Michaud.

Chacun tente de prévoir les échanges avec les candidats. « Martine n’a aucune faiblesse particuliè­re », dit Cloutier. « Et si on l’attaque, on va braquer l’aile gauche du parti contre nous, alors qu’on en a besoin », poursuit Soucisse. « On va y aller mollo », convient Cloutier.

L’ancien député et acteur Pierre Curzi donnera un coup de main à Alexandre Cloutier pour peaufiner ses discours : rythme, respiratio­n, intonation. Dans le camp Péladeau, ce type d’aide n’a pas été utilisé. « Pierre Karl n’en veut pas pour l’instant », a affirmé Alain Lupien au début mars.

La veille du premier débat, l’équipe Cloutier se réunit de nouveau. Véronique Hivon s’ajoute au groupe, ainsi que Pierre Boileau, organisate­ur de Jacques Parizeau au début des années 1990. « Tu dois rester positif, être inspirant », lui recommande Hivon.

Le lendemain, un peu avant le débat, Cloutier arpente une salle de classe du cégep de Trois-Rivières. Il répète ses discours d’ouverture et de clôture. « Je n’ai jamais été aussi nerveux. J’ai pratiqué mille fois ! » dit-il en se dirigeant vers l’amphithéât­re, où attendent plus de 700 militants.

L’opération est cruciale pour toutes les équipes. « Si on veut ébranler Péladeau et réduire son avance, il faut le faire dans les deux premiers débats, pendant que l’attention des médias et des militants est la plus forte », explique Stevens Héroux, directeur de la campagne de Martine Ouellet.

Pierre Karl Péladeau recevra une salve de Pierre Céré au sujet du recours aux paradis fiscaux par Québecor du temps où il dirigeait l’entreprise. La veille, en dévoilant sa plateforme économique, PKP avait promis de s’attaquer à l’évasion fiscale. Largement conquise à Péladeau, l’audience réagit par des huées bien senties. Le meneur esquive. « Je ne suis plus à Québecor. Je pense que c’est complèteme­nt hors sujet », réplique-t-il à Céré. Cette réponse ne satisfait pas Alain Deneault, auteur de

Paradis fiscaux : La filière canadienne (Écosociété), qui relate dans son livre que Québecor World avait des filiales au Panamá, au Luxembourg et au Delaware jusqu’en 2008, alors que Québecor Média a une entité à la Barbade. (Québecor soutient n’avoir jamais fait d’évasion fiscale.)

Le spécialist­e des paradis fiscaux estime que « ça frise l’insulte à l’intelligen­ce » que de prétendre que l’entreprise y brasse des affaires banales. Dans une lettre au Devoir, il écrit, cinglant : « Combien de temps tentera-t-on de nous faire croire qu’on se rend à un bordel pour y lire la Bible ? »

À la fin du débat, Péladeau est toujours debout, même s’il a essuyé les tirs groupés de ses adversaire­s. « C’était une grande étape pour lui, il n’a pas l’expérience des autres », affirme Alain Lupien, heureux.

Dans la classe qui accueille le camp Cloutier après le débat, l’ambiance est à la fête. La performanc­e du candidat devrait lui permettre de poursuivre sur sa lancée. « Ce soir, tu as montré que tu n’es pas juste cute ! » lance l’acteur Vincent Graton, qui s’est joint à l’équipe.

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aux paradis fiscaux par Québecor du temps où PKP dirigeait
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Pierre Céré lance une salve au sujet du recours aux paradis fiscaux par Québecor du temps où PKP dirigeait l’entreprise.

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