L’actualité

Le coup de grâce

« Qui connaît l’autre et se connaît, en cent combats ne sera point défait. »

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Réunis en ce 16 avril dans une salle privée du restaurant Le Cercle, à Québec, Pierre Céré et sa garde rapprochée soupent en discutant du troisième débat qui aura lieu dans deux heures, au théâtre Impérial. Céré n’a commandé que du pain et quelques fromages. « Je suis trop nerveux pour manger, dit-il. C’est un sport extrême, la politique. On n’a pas droit à l’erreur. »

Puis, tandis qu’ils se rendent à l’Impérial, je reçois un courriel de l’équipe Ouellet. Stevens Héroux a reçu ses plus récents résultats de sondage interne. « PKP domine. Drainville est loin derrière. Il va jouer le tout pour le tout. »

Dès l’ouverture du débat, Bernard Drainville attaque directemen­t Pierre Karl Péladeau. Il lui demande de préciser sa démarche vers un référendum afin qu’« aucun membre du PQ ne signe un chèque en blanc au prochain chef ». Il met en garde contre la « tentation de se raccrocher à cette idée de l’homme providenti­el ». « C’est un mirage », lance-t-il aux 600 militants, qui montrent leur mécontente­ment à chacune des phrases assassines.

Deux jours plus tard, le 18 avril, l’équipe Drainville reçoit de nouveaux chiffres. Un désastre. Le nombre d’indécis a chuté à moins de 10 %, l’avance de PKP s’est solidifiée à près de 60 %. Drainville est troisième, et la possibilit­é d’un deuxième tour s’est envolée.

Le débat de Québec n’y est toutefois pour rien. « On obtient toujours les chiffres environ une semaine après la fin du sondage ; le débat de Québec n’avait donc pas pu jouer encore », explique Stéphane Gobeil, son directeur de campagne. Ce que Drainville a sous les yeux, c’est l’état de la course après le débat de Sherbrooke, le 29 mars. Même s’il n’avait provoqué aucune étincelle entre les candidats, tout a basculé.

Péladeau avait terminé ce débat avec quelques phrases humbles prononcées sur le ton de la confidence. « Je ne croyais pas que la vie publique pouvait être aussi exigeante. Je le vois bien depuis que je suis député de Saint-Jérôme. »

De la modestie qui a porté. « Il a montré aux militants qu’il a entendu leurs craintes. Il leur a rappelé qu’il est une recrue en politique, qu’il est authentiqu­e et qu’il veut apprendre. Les chiffres ont tout de suite bougé », dit Gobeil.

Quelques jours plus tôt, le clan Péladeau avait embauché le consultant Steve Flanagan, expert en relations publiques et en gestion de crise — connu pour ses interventi­ons en tant que porte-parole d’Hydro-Québec pendant la crise du verglas. Est-il à l’origine de ce coup d’éclat ? « C’est un travail d’équipe, je ne m’en attribuera­i pas le mérite », dit-il.

Les deux semaines avant le débat de Sherbrooke avaient été pénibles. Les jeunes présents à Force Jeunesse, le 14 mars, à HEC Montréal, avaient ri de Péladeau, qui avait prononcé un discours brouillon et décousu.

Le 18 mars, au débat de l’Université Laval, PKP avait créé un malaise en affirmant que le PQ devait réaliser la souveraine­té avant que les immigrants soient trop nombreux. « On n’aura pas 25 ans devant nous. Avec la démographi­e, avec l’immigratio­n, on perd une circonscri­ption chaque année. » Il s’excusera le lendemain en disant que ces paroles ne reflétaien­t pas sa pensée.

Quand PKP a prononcé ces mots, Alain Lupien a sursauté. « Depuis [les déclaratio­ns de] Parizeau, en 1995, c’est un sujet délicat au PQ. Mais Pierre Karl n’a pas cet historique, il voulait dire ce qu’il ressent, et il n’en a pas mesuré l’effet. C’était une erreur », dit-il.

Le candidat admet finalement qu’il est hors de sa zone de confort en politique, qu’il ne maîtrise pas l’environnem­ent comme à Québecor et qu’il a besoin de son équipe. « Il s’est passé quelque chose en lui. Il a compris qu’il doit nous faire confiance », souligne Lupien.

Depuis le débat de Sherbrooke, c’est un PKP plus calme qui prononce des discours. « Comme si une partie de la pression venait de tomber », dit Lupien.

Avant chacun des discours, Flanagan rappelle à Pierre Karl Péladeau qu’il doit se mettre « en mode séduction » : « Les gens veulent t’aimer, aide-les. »

« Le politicien Péladeau n’est pas un “produit fini” et il ne le sera pas avant plusieurs mois, ou même des années », me dit Steve Flanagan, qui ne compte pas rester à ses côtés après sa victoire.

Lorsqu’il ouvre son local électoral à Montréal, le 19 avril, Drainville pense déjà à tout abandonner. Son discours aux militants sonne d’ailleurs comme un bilan de campagne.

Le choix est simple : s’en aller ou jouer encore plus dur contre PKP afin de renverser la tendance. « On se serait “magané” en tant que parti », dit Stéphane Gobeil. Il ajoute : « On faisait la course pour gagner, alors se battre avec Alexandre pour la deuxième place n’était pas motivant. »

Drainville repousse d’abord l’idée de se rallier à Péladeau. Mais le 21 avril, à force de parler avec son équipe et les députés qui l’appuient, il se range à l’idée de se joindre dès maintenant au camp du futur chef, afin de commencer à panser les plaies de la course.

Le lendemain, les deux candidats se rencontren­t. Ils discutent de certaines positions prises durant la course, notamment en environnem­ent et sur l’échéancier référendai­re. Il ne s’agit pas de négociatio­ns. « On n’est pas les

kingmakers. Péladeau va gagner, avec ou sans nous ; on n’est pas en position d’exiger grand-chose », dit Gobeil.

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