L’actualité

La victoire

« Jamais guerre prolongée ne profita à aucun pays. »

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« Je vais y aller à vélo », lance Pierre Karl Péladeau. Au bout du fil, Alain Lupien est furieux. Ayant encore en tête l’attentat contre Pauline Marois, en septembre 2012, il a embauché une douzaine d’agents pour surveiller les portes du Théâtre national, rue Sainte-Catherine. « Tu ne peux pas faire ça ! Ce sera un casse-tête pour la sécurité. Tu dois arriver en auto », réplique-t-il. « Arrête de me fatiguer avec ça ! » tranche PKP avant de raccrocher.

Le samedi 9 mai, le candidat arrive à vélo à son dernier grand rassemblem­ent de campagne, en complet gris, lunettes de soleil sur le nez et cheveux au vent. En le voyant, Lupien pense au choc que PKP vivra dans moins d’une semaine, lorsqu’il deviendra chef de l’opposition officielle. « Les agents de la Sûreté du Québec vont le suivre partout. Il a beau avoir la tête dure, il devra les écouter ! » dit-il en riant.

Quatre jours plus tard, l’opération pour faire voter les membres démarre. Le général PKP dispose de près de 150 bénévoles partout au Québec, qui appellent les partisans ralliés à son camp dans les dernières semaines, afin qu’ils votent par Internet ou par téléphone. L’objectif : faire mieux que les 53,7 % obtenus par André Boisclair en 2005.

Alain Lupien a reçu un coup de main inattendu. Deux semaines plus tôt, le clan Cloutier a rendu public un sondage interne qui plaçait son candidat non loin de Péladeau dans la course. « Ça aide à faire “sortir mon vote”, je dis à mes supporters qu’il faut travailler fort. Le pire ennemi du meneur, c’est que son monde oublie de voter ou arrête de travailler en pensant que c’est déjà gagné », raconte-t-il.

Martine Ouellet n’a pas apprécié la fuite de ce sondage. « J’ai découvert dans cette course que les rumeurs ont plus d’effet que je ne pensais », me dit-elle quelques heures avant l’annonce des résultats, le vendredi 15 mai, au Centre des congrès de Québec. Elle donne en exemple ce « ragot » selon lequel elle abandonner­ait le PQ pour Québec solidaire en cas de défaite. « Il n’a jamais été question de ça. »

Plus tôt, dans l’après-midi, les lieutenant­s de Pierre Karl Péladeau avaient tenté de joindre leur candidat, sans succès. Pendant des heures, il n’a pas répondu à son cellulaire. La dernière entrevue prévue avec L’actualité est annulée. « Il est dans sa bulle », dit Steve Flanagan.

Cloutier arrive vers 18 h 15. Dans la salle du Centre des congrès qui lui sert de quartier général, l’ambiance est détendue. « Je l’ai fait, c’est terminé. Il y a un sentiment de sérénité, d’accompliss­ement, peu importe les résultats », dit-il. Félix-Antoine Michaud reçoit ses derniers rapports de pointage. Le vote des 71 800 membres s’est terminé à 17 h. « C’est bon, 86 % de ceux qu’on avait identifiés comme nos supporters ont voté », dit-il en prenant des notes sur un bout de papier. Il risque une prédiction : 27 %. « Ce ne sera pas assez pour un deuxième tour. »

Puis, Alexandre Cloutier termine la préparatio­n de son discours et du point de presse avec ses proches collaborat­eurs. « Si je termine troisième, loin derrière, j’ai combien de temps pour peser sur le bouton panique et changer mon discours ? » demande-t-il. « Ce serait une catastroph­e, mes chiffres n’indiquent pas ça », dit Michaud.

Son équipe discute du geste qu’il doit faire lorsque Péladeau sera déclaré vainqueur. Le candidat les interrompt. « Je n’aurai rien à faire, il va venir vers moi et lever mon bras. C’est le privilège du gagnant. Il va voir le deuxième et expose son trophée. Je suis le panache sur son hood de char et il va vouloir le montrer. Avec la bonne campagne qu’on a faite, je commence à être un beau panache ! »

Ses collaborat­eurs sourient. Le député de Gaspé, Gaétan Lelièvre, s’inscrit en faux. « Les gens ne verront pas un panache, ils vont voir le prochain chef du PQ, l’avenir du parti. Sois fier à côté de lui, sois souriant. »

PKP sera le seul candidat à faire son entrée accompagné de sa famille, une dizaine de minutes avant le début de la soirée. Julie Snyder avait hâte à la fin de la course. « Ce sera une autre étape de notre vie, moins intense. C’était un rythme inhumain. Mes enfants vont retrouver leur père. »

L’adaptation de la famille à cette vie n’est pas encore achevée, admet Snyder. « Il y a quelque chose de violent en politique qu’on ne soupçonne pas avant de le vivre. Il y a la pression des militants, des adversaire­s, des médias. Ça te rentre dedans physiqueme­nt. Il y a un inconfort constant. »

L’équipe de Péladeau a alors déjà convenu que celui-ci fera une partie de son discours en anglais, ce qui est rare dans les instances du Parti québécois — André Boisclair l’avait fait en 2005, et Parizeau en 1989 —, afin d’envoyer le signal d’un chef qui aspire à devenir premier ministre. « On veut projeter l’image d’un homme d’action, qui se met au travail tout de suite », dit Alain Lupien.

Vers 21 h 30, le PQ annonce que 72,9 % des membres ont voté. Pierre Karl Péladeau a obtenu 57,6 % des voix, Alexandre Cloutier, 29,2 % et Martine Ouellet, 13,2 %. Estil le chef de la dernière chance pour le PQ ? « C’est peut-être exagéré, mais c’est un moment important, affirme Bernard Landry. On n’a plus de place pour l’erreur. »

Alain Lupien estime qu’il serait « injuste » de définir Péladeau comme celui qui relancera le PQ ou l’enterrera. « Tout ne s’arrête pas avec notre génération. Certains peuples ont pris plus de 100 ans avant d’obtenir leur indépendan­ce », dit-il.

Conscient que le chemin vers les prochaines élections sera parsemé d’embûches, Pierre Karl Péladeau cite le poète Gaston Miron dans son discours de victoire : « Nous sommes arrivés à ce qui commence. »

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