REPROGRAMMER LE CERVEAU PAR LE DÉSIR !
La seule façon de surmonter une dépendance comme la toxicomanie, c’est d’introduire dans notre vie d’autres plaisirs qui nous motivent, affirme le spécialiste des neurosciences Marc Lewis dans un livre-choc.
La seule façon de surmonter une dépendance comme la toxicomanie, c’est d’introduire dans notre vie d’autres plaisirs qui nous motivent, affirme le spécialiste des neurosciences Marc Lewis dans un livre-choc.
Depuis une vingtaine d’années, médecins, chercheurs et experts en santé publique défendent l’idée que la dépendance n’est pas le résultat d’un « choix », mais une maladie incurable dont les victimes sont quasi impuissantes. Le Torontois Marc Lewis, professeur de psychologie développementale et spécialiste des neurosciences à l’Université Radboud, aux Pays-Bas, récuse cette thèse. Dans un livre-choc qui sème la polémique dans le monde du traitement de la toxicomanie, The Biology of Desire (la biologie du désir), ce chercheur soutient que la dépendance « s’apprend ». Et il parle d’expérience, puisqu’il fut lui-même toxicomane. « Pour surmonter une dépendance, dit-il, on doit d’abord la comprendre. » En quoi la dépendance est-elle un processus « normal » du cerveau ?
Depuis plusieurs années, la communauté médicale accepte l’idée que le cerveau humain est « plastique », qu’il change constamment. C’est d’ailleurs un psychologue canadien, Norman Doidge, qui a popularisé cette idée, la neuroplasticité (voir l’encadré, p. 18). Pendant toute notre existence, le cerveau s’adapte aux conditions de la vie en créant de nouvelles connexions. Contrairement à ce qu’on a longtemps cru, le cerveau adulte n’arrête pas de se développer. La dépendance, c’est le cerveau qui s’adapte. On « apprend » la dépendance.
Comment se passe ce processus exactement ?
La dépendance s’établit dans une partie supérieure du cerveau appelée « corps strié ». Son travail consiste à modeler notre compor tement en fonction des récompenses — comme quand on se sent mieux — ou des conséquences négatives — comme éviter des séquelles dommageables. Le corps strié réagit constamment. Il est extrêmement sensible aux stimulations associées à une substance ou à une activité donnée — car la dépendance n’est pas qu’affaire de drogues, on peut être accro au jeu, au sexe, à la nourriture. Le corps strié active des passerelles synaptiques dans le cerveau, de telle manière qu’une nouvelle configuration s’installe. À force d’être répétée, cette configuration devient profondément enracinée.
D’où le titre de votre livre, la biologie du désir ?
Oui, le corps strié nous pousse à poursuivre ce qu’on désire. Ce n’est pas le plaisir qui nous motive. Dans la dépendance, le désir prend les commandes de notre cerveau, de sorte que les toxicomanes deviennent prisonniers du moment présent.
Mais qu’est-ce qui rend le toxicomane incapable de résister ?
C’est un autre processus du cerveau, tout à fait normal aussi : l’élagage synaptique. On ne peut pas maintenir toutes les passerelles synaptiques créées au cours de notre vie. Alors le cerveau fait le ménage continuellement, éliminant les synapses qui ne sont plus, ou peu utilisées. Normalement, le corps strié communique avec la partie du cerveau à la
source du jugement et de la maîtrise de soi. Mais dans le cerveau d’un toxicomane, cette connexion est coupée. Le cerveau finit par chercher la récompense de façon exclusive, quasi automatique, sans solliciter d’autres parties du cerveau. Le cerveau d’un toxicomane devient tellement concentré sur l’objectif qu’il en perd sa capacité de réfléchir à ce qu’il fait.
Mais certains cerveaux « apprennent » ainsi la dépendance, et d’autres pas. Pourquoi ?
De 80 % à 90 % des toxicomanes ont vécu une expérience traumatique préalable. Ça peut aller de la simple négligence à la maltraitance. L’effet, lui, est le même. La personne ne se sent pas entière. Il y a un vide à remplir. Dans mon cas, mes parents m’avaient envoyé dans un pensionnat lorsque j’étais jeune, et je suis devenu dépressif. À l’adolescence, j’ai commencé à expérimenter les drogues, tout ce qui pouvait me tomber sous la main : LSD, méthamphétamine, Demerol, Percodan, morphine, héroïne, opium. Je voulais me sentir mieux. Et je suis devenu toxicomane.
Vous affirmez que la dépendance n’est pas une maladie. Pourquoi est-ce si important de changer cette étiquette ?
La désintoxication, telle qu’on la pratique, n’aide guère les toxicomanes. C’est un système de portes tournantes qui enrichit une industrie en fournissant des solutions temporaires à des toxicomanes qui retombent dans leur dépendance au bout d’un mois ou deux. La carrière de nombreux scientifiques et d’éminentes personnalités en politiques publiques repose sur cette définition de la dépendance comme maladie. Pardessus le marché, cette définition sert aussi à déresponsabiliser beaucoup de toxicomanes. Pour eux, c’est une béquille qui justifie leur incapacité de surmonter la dépendance. Les toxicomanes se sentent moins humiliés, moins dédaignés quand ils ne parviennent pas à s’en sortir. Mais c’est faux. Les gens peuvent surmonter la dépendance. Mon livre raconte l’histoire de cinq d’entre eux.
Mais si la dépendance découle d’un processus normal du cerveau, la génétique ne joue-t-elle pas ?
Certains chercheurs affirment qu’une forte prédisposition génétique explique jusqu’à 50 % des cas d’alcoolisme. J’ai des doutes là-dessus. Le lien entre gènes et comportement humain est trop complexe, et trop difficile à prouver. Néanmoins, on observe chez les toxicomanes des styles de personnalité qui ont peut-être des bases génétiques. Ils sont souvent « compulsifs », téméraires, impulsifs. Ça peut évidemment les mener à essayer des stupéfiants. Mais peu importe, leur motivation est la même : c’est le désir de se sentir mieux.
Alors, comment un toxicomane peut- il « désapprendre » la dépendance ?
En fait, on ne la désapprend pas. Il faut la recadrer. Un toxicomane doit adopter d’autres buts dans sa vie pour concurrencer l’unique objectif de son cerveau, c’est-à-dire la recherche exclusive de la substance ou de l’activité compulsive. Ce n’est pas facile. On ne se lève pas un beau matin transformé. Mais c’est essentiel. Le corps strié doit être allumé par d’autres objectifs.
On y arrive comment ?
En élargissant ses expériences. Car le cerveau s’adapte en fonction de l’expérience. Le corps
strié ne raisonne pas : il est très centré sur le présent. Le toxicomane doit donc sortir de sa zone de confort et étirer le cadre dans lequel il fonctionne. Cela consiste à amener le toxicomane à faire du sport ou de l’art — au lieu de boire, par exemple — ou une autre activité stimulante qui créera de nouvelles récompenses qui recadreront les synapses.
Vous êtes très critique de la philosophie « Dis non à la drogue, à l’alcool ». On ne peut pas surmonter la dépendance en y résistant ?
Plusieurs études ont montré que la seule répression du désir ne permet pas à un toxicomane de surmonter sa dépendance. À long terme, cela crée ce qu’on appelle l’« égo fatigue », l’épuisement de la maîtrise de soi. Et ça finit par augmenter le stress et l’envie de recourir à la drogue ! La seule façon de surmonter la dépendance, c’est d’introduire d’autres expériences dans sa vie, d’acquérir d’autres objectifs, d’autres désirs qui nous motivent et que l’on peut assouvir.
Quel rôle la famille et les amis peuvent-ils jouer pour lutter contre la dépendance ?
Il faut quelqu’un qui aide le toxicomane à voir plus loin que sa dépendance. Celui-ci doit ouvrir d’autres portes, et pour ce faire, il a besoin de garder le lien émotif, le sentiment d’appartenance à quelque chose. Sinon, il peut facilement conclure qu’il a tout perdu, qu’il n’aura plus jamais de connexion avec les gens qu’il aime ! Et surtout, les toxicomanes doivent s’éloigner de leurs amis toxicomanes...