UN COMPTABLE QUI SAIT COMPTER
Les syndicats préparent une grève inutile, selon un professeur d’administration.
L’automne sera chaud dans les 48 cégeps du Québec. En pleine renégociation des conventions collectives, les 22 000 enseignants ont donné un mandat de grève (six jours, en rotation) aux syndicats. Très remontés contre les politiques d’austérité du gouvernement Couillard, ils jugent insuffisantes les offres patronales.
Quelques voix contraires s’élèvent néanmoins, dont celle de Pierre-Yves McSween, professeur d’administration au cégep régional de Lanaudière. L’actualité a recueilli les impressions de cet hyperactif — il est comptable agréé et MBA, collaborateur à La Presse, chroniqueur à Radio-Canada et blogueur à Voir.ca — qui n’a pas la langue dans sa poche.
Qu’est-ce qui accroche entre les profs et le gouvernement ?
Le gouvernement propose un gel salarial de deux ans, sans indexation à l’inflation. Il veut imposer une pénalité de 7 % pour ceux qui partent à la retraite avant 60 ans, alors qu’il y a déjà une pénalité. Et il exige que les professeurs mis en disponibilité acceptent un poste équivalent jusqu’à 250 km de leur domicile. Si nous voulons un système collégial, il faut bien accepter de payer ce que ça coûte !
Mais vous êtes contre la grève. Pourquoi ?
Nous n’avons pas de rapport de force. Quatre, cinq, six jours de grève dans les cégeps, ça ne dérange personne. Au primaire, une semaine de grève dérange les parents, tout le monde est très fâché et le gouvernement le sait tout de suite. Mais si votre ado de 18 ans n’a pas de cours, il rentre à la maison, fait ses devoirs, joue à des jeux vidéos, va travailler.
Trente mille personnes qui manifestent à Québec, qu’est-ce que vous voulez que ça fasse à des ministres comme Martin Coiteux, au Conseil du Trésor, ou à Carlos Leitão, aux Finances ? Ils ne sont pas payés pour être aimés : ils gèrent les finances de l’État à une époque où, pour la première fois, on compte plus de retraités que de jeunes de 14 ans et moins. Si on pense que les finances publiques sont en mauvais état, on n’a encore rien vu.
Et puis, un employé de l’État est piégé. Bien sûr, un enseignant qui a une autre profession — un comptable, comme moi, une avocate, une diplômée en design d’intérieur ou en mécanique — a une valeur marchande. Nous pouvons nous recaser assez aisément. Mais la plupart des professeurs, d’histoire, de français, de philo, sont captifs. Ils n’ont
nulle part où aller, et le gouvernement le sait.
Nous n’avons même pas la sympathie du public, contrairement aux enseignants du primaire et du secondaire. On gagne 79 000 dollars, en haut de l’échelle salariale, on a trois mois de vacances, la permanence.
Vous craignez une grève inutile ?
Après quelques jours de grève, le gouvernement va voter une loi spéciale. Les profs auront brûlé quatre jours de salaire et leur fonds de grève pour rien. Leur seul autre moyen d’action sera de perturber le système, en retenant les notes, en annulant les activités parascolaires, en refusant de participer aux comités. Mais ça ne pénalisera que les étudiants et nous-mêmes, puisqu’il faudra bien faire le travail plus tard. Bien sûr, on pourrait défier la loi, mais les pénalités dépasseraient largement ce qu’on espère obtenir. D’un point de vue comptable, si je peux espérer obtenir 1 % d’augmentation avec ou sans grève, j’ai fait une grève pour rien. Donc, on perd du temps, on perd de l’argent.
La majorité des professeurs ne partagent pas mon point de vue. Mais la majorité d’entre eux ne connaissent pas leur salaire net et ne calculent pas leurs retenues à la source.
Les professeurs ont-ils d’autres moyens que la grève ?
Ne pourrait-on pas passer plus de temps à la table de négociation ? Au lieu de chialer et de se battre dans la rue, il faut des démonstrations comptables, des analyses comparatives des salaires et des charges de travail, pour montrer au gouvernement le travail accompli. Au bout du compte, ce qui préoccupe le gouvernement, c’est juste l’argent. Travaillons là-dessus.
Il existe une solution, selon vous ?
Je comprends la réalité du gouvernement et la perspective des syndicats, mais les demandes de part et d’autre sont extrêmes. Le gouvernement propose 0 % et les employés ont raison d’en être offusqués. La partie syndicale, elle, demande une augmentation de 4,5 % par année sur trois ans, ce qui est tout aussi extrême, puisque la tâche n’a pas augmenté. Ça s’inscrit dans une logique de négociation : si vous commencez avec une demande raisonnable, vous risquez d’obtenir beaucoup moins. C’est le concept d’ « ancrage ». Le premier qui fait une concession est perçu comme le perdant. Donc, personne ne veut faire le premier geste.
Leurs positions sont- elles inconciliables ?
Les professeurs ont des conditions acceptables. À mon avis, si le gouvernement offrait aux professeurs une augmentation équivalente au taux d’inflation, il aurait fait un grand pas.