LE TEMPS DU RENOUVEAU
Azzedine, Khaled, Aboubaker, Mamadou, Ibrahima, Abdelkrim ne seront donc peut-être pas morts en vain. Depuis l’attentat sanglant du 29 janvier à Québec, un vent nouveau s’est levé. Reste à ne pas laisser retomber cet alizé.
« Dans l’atmosphère pesante qui a suivi la fusillade, une lumière a jailli », disait l’ambassadeur d’Algérie lors de la cérémonie funéraire tenue à l’aréna Maurice-Richard le 2 février.
Depuis l’attentat qui a fait six morts et cinq blessés graves au Centre culturel islamique de Québec, des milliers de Québécois de toutes origines ont marqué leur solidarité avec leurs voisins de confession musulmane, refusant de les laisser seuls désormais devant la discrimination et le fanatisme.
Des collectes de fonds ont été lancées pour soutenir les veuves et les orphelins. Des animateurs de radio se sont excusés d’avoir fait grimper leur cote d’écoute sur le dos des plus vulnérables de leur société — des immi- grants récents, en butte aux préjugés, qui ne demandent qu’à vivre en harmonie avec leurs voisins.
Comme le disait si bien un fidèle de la mosquée de Québec : « Nous ne voulons que prier en paix. Nous tentons de nous faire tout petits. »
Et pourtant, ils ont été grands, ces Québécois de confession musulmane qu’on a entendus depuis le 29 janvier.
Nombre d’entre eux ont dit aux médias qu’ils pardonnaient au dément qui a lâchement tiré sur leurs amis et leurs voisins, disant comprendre qu’il était un cas isolé et ne représentait pas le Québec. Mais s’inquiétant un peu, tout de même, qu’il y en ait peutêtre d’autres comme lui… et souhaitant une meilleure protection.
Les autorités municipales et religieuses ont montré une volonté ravivée d’éliminer les embûches légales et fiscales qui freinent l’ouverture de cimetières musulmans — ou d’aplanir les difficultés de zonage liées aux lieux de culte — dans différentes régions du Québec.
Le député Joël Lightbound, de la circonscription de Louis-Hébert (où se trouve la mosquée ciblée par le tireur), a dit regretter son silence ou sa mollesse dans la défense de ses concitoyens musulmans malmenés par des discours xénophobes.
Tout cela n’effacera évidemment pas la peine cruelle des 17 orphelins ni des proches qui ont perdu un ami, un frère, un oncle… Le vandalisme sur une mosquée du sud-ouest de Montréal, le jour même des funérailles de trois des victimes, montre qu’il y a encore des ponts à bâtir. Mais ce vent de renouveau inaugure une nouvelle saison.
Comme le disait le jeune imam Madhi Tarkawi lors de la cérémonie du 2 février, « la voie est dans le partage », et l’égarement d’une personne ne doit pas nous faire croire que tous les Québécois sont des terroristes. Pas plus que l’égarement de terroristes musulmans ne doit nous faire croire que tous les musulmans sont des terroristes.
Les lendemains de la tragédie ont certainement permis aux Québécois de découvrir toutes ces nouvelles voix musulmanes, jeunes et moins jeunes, qui croient en l’avenir de la diversité québécoise et veulent y contribuer.
On entendra certainement désormais plus de jeunes imams comme Madhi Tarkawi. Ils sont l’islam qui germe au Québec. Ils sont un mélange de vents, le nordet rigoureux et le khamsin si chaud venu du désert.
La peur aurait pu engloutir le Québec le 29 janvier. Un vent de solidarité l’a fait reculer. Des cyniques diront que ça ne durera pas. Mais nul ne contrôle le vent. Voyons voir jusqu’où celui-là soufflera.
Je vous invite à suivre dans cette page le nouveau rédacteur en chef, Charles Grandmont, dès le prochain numéro !