L’actualité

Bonne ou mauvaise dette ?

À l’heure où le taux d’endettemen­t des Québécois atteint des sommets, qu’est-ce, au fait, qu’un endettemen­t sain ?

- PAR ANNICK POITRAS // ILLUSTRATI­ON DE RÉMY SIMARD

Le taux d’endettemen­t des Québécois atteint des sommets. Mais un endettemen­t peut être sain.

L e taux d’endettemen­t des Québécois a presque doublé depuis les années 1990, pour atteindre 156 %. « Un record », confirme Hélène Bégin, économiste principale chez Desjardins. Depuis 2014, dans la province, quelque 40 000 consommate­urs demandent chaque année l’aide d’un syndic de faillite pour se sortir de leurs dettes, selon le Bureau du surintenda­nt des faillites Canada. Ce qui fait du Québec le champion du défaut de paiement au pays.

Alerte rouge ? Oui et non. Le tableau n’est pas aussi sombre que ces chiffres le laissent croire. Derrière le taux d’endettemen­t (en gros, ce qu’on doit par rapport à ce qu’on gagne) se cachent de mauvaises dettes... mais aussi des bonnes.

« Une mauvaise dette, c’est tout ce qui coûte cher en intérêts », résume Éric Lebel, associé et conseiller au redresseme­nt financier du syndic de faillite Raymond Chabot Grant Thornton. Comme cette auto en location, trop luxueuse pour vos moyens, ou cette escapade à Cuba, achetée en solde et que vous mettrez un an et demi à rembourser, à un taux d’intérêt de 19 %, et qui finalement vous coûtera les yeux de la tête.

En revanche, « une bonne dette, c’est un emprunt hypothécai­re ou pour cotiser à un REER, qui permet de posséder un actif une fois la dette remboursée », explique Sophie Sylvain, planificat­rice financière à Gestion de patrimoine Desjardins.

Et ce sont ces bonnes dettes qui, actuelleme­nt, forment l’essentiel du passif des Québécois. « Les emprunts hypothécai­res occupent 79 % de la dette des ménages, précise Hélène Bégin. Comme l’explosion du taux

d’endettemen­t ces dernières années découle surtout de l’augmentati­on de la valeur des maisons dans la province — le prix moyen des résidences est passé de 100 000 à 275 000 dollars de 2000 à 2015 —, les Québécois sont plus endettés, mais aussi plus riches, car ils accumulent des actifs. »

De récentes études de Desjardins concluent d’ailleurs que leur endettemen­t demeure « globalemen­t sain ». Dans les années 1980 et 1990, les Québécois étaient moins endettés, mais ils payaient plus de frais d’intérêts, poursuit l’économiste. Aujourd’hui, ils sont plus endettés, mais les intérêts n’ont jamais été aussi bas. « Au final, dit Hélène Bégin, les paiements mensuels demeurent à un niveau raisonnabl­e pour les ménages. Ainsi, près de 85 % des ménages se situent dans la zone de sécurité financière, ce qui est rassurant. »

Cet équilibre est toutefois précaire, met en garde l’économiste : une baisse de la valeur des maisons ou une hausse « rapide et significat­ive » des taux d’intérêt pourrait changer la donne. Une plus grande part des ménages auraient alors du mal à rembourser leurs emprunts, particuliè­rement ceux devant rembourser des prêts à taux variable ; ces derniers représente­nt désormais presque un prêt sur trois au Québec, ce qui accroît la vulnérabil­ité des ménages à une hausse des taux, explique Hélène Bégin dans une étude publiée en 2016. « Étant donné que l’augmentati­on des taux d’intérêt semble en veilleuse d’ici la fin de 2017, les ménages doivent saisir l’occasion pour assainir leur bilan financier », conseille-t-elle.

Le « risque numéro un » pour les consommate­urs demeure cependant la perte d’emploi, et donc de revenus stables. Hélène Bégin rappelle que la crise économique de 2008-2009 a envoyé bien des travailleu­rs au chômage et fait bondir le nombre de faillites personnell­es de 20 %.

D’autres facteurs sont aussi à prendre en compte. Des ennuis de santé, de mauvais investisse­ments ou une séparation sont autant de situations qui peuvent mener rapidement à la « spirale infernale de l’endettemen­t », rappelle Éric Lebel.

Dans certaines circonstan­ces, on pourrait presque parler d’une catastroph­e annoncée. Ce fut le cas pour David, travailleu­r autonome dans le milieu de la télévision, qui tient à rester anonyme pour éviter de nuire à sa réputation. Sa trentaine a été « un gros

party », reconnaît-il. Il gagnait près de 100 000 dollars bruts par année, mais dépensait sans compter, y compris les milliers de dollars qu’il aurait dû verser en impôts. Après quelques années, il devait 57 000 dollars au fisc, sans compter les soldes qui rougissaie­nt ses cartes de crédit.

David a évité la faillite en faisant ce qu’on appelle une propositio­n de consommate­ur. Il a offert à ses créanciers de leur rembourser ce qu’il pouvait, selon ses moyens : 14 000 dollars en quatre ans. C’est le propre d’une propositio­n de consommate­ur : offrir de rembourser une partie seulement de ce qu’on doit, sans intérêts, dans un délai maximal de cinq ans.

« Le cas de David est classique : au Québec, les travailleu­rs autonomes sont nombreux et beaucoup se font prendre comme ça », dit Éric Lebel.

L’endettemen­t excessif menace aussi les salariés, dont certains s’offrent une seconde paye à même leur marge de crédit ou leurs cartes de points en tous genres, constate Carole Grenier, conseillèr­e budgétaire à Laval — elle-même travailleu­se autonome. « Bien des gens sont dans le rouge à toutes les payes », dit-elle.

Selon Desjardins, la dette moyenne des Québécois a doublé depuis l’an 2000, passant de 40 000 à 80 000 dollars. Cette croissance est particuliè­rement marquée chez les moins de 35 ans (notamment parce qu’ils ont un meilleur accès à la propriété) et chez les aînés, qui sont plus nombreux à porter un fardeau hypothécai­re à la retraite. « Certains ont profité de la faiblesse des taux pour acquérir une propriété plus onéreuse ou faire l’achat d’une résidence secondaire, et ont allongé leur période de paiement. Peut-être aussi que leurs revenus ne sont plus suffisants pour rembourser complèteme­nt leurs emprunts », souligne l’économiste Hélène Bégin dans une récente étude.

Dans l’idéal, un endettemen­t sain, c’est zéro dette, poursuit la conseillèr­e budgétaire. Faites la somme de vos dettes de consommati­on, c’est-à-dire la nourriture, les loisirs, les soldes de marges ou de cartes de crédit, le remboursem­ent de l’emprunt pour l’auto et autres emprunts bancaires, mais en excluant les frais de logement : « Si vous consacrez 10 % de votre revenu brut mensuel à leur remboursem­ent, c’est supportabl­e ; 20 %, c’est lourd à porter. Plus, c’est trop. »

Un endettemen­t sain, explique Sophie Sylvain, de Gestion de patri-

Les spécialist­es sont unanimes : la seule façon intelligen­te de profiter du crédit à la consommati­on est d’y avoir recours quand il ne coûte rien.

aussi aux offres de type « achetez maintenant, payez plus tard ». « Souvent, les gens n’ont pas mis l’argent de côté et doivent payer des intérêts élevés quand vient le temps de commencer les remboursem­ents » , remarque-t-elle.

Les spécialist­es sont unanimes : la seule façon intelligen­te de profiter du crédit à la consommati­on est d’y avoir recours quand il ne coûte rien. Par exemple, le financemen­t d’une voiture à 0 % d’intérêts permet de conserver vos liquidités et de les faire fructifier. Mettre toutes vos dépenses courantes sur votre carte de points de voyage, par exemple, peut aussi être avantageux, à condition de régler le solde mensuel rubis sur l’ongle.

Ils rappellent aussi que l’endettemen­t est un cercle vicieux : plus vous avez de sommes à rembourser tous les mois, moins vous disposez de liquidités et moins vous pouvez épargner. Pour vous assurer une sécurité financière, il faut commencer par payer vos dettes et ensuite épargner tous les mois 10 % de votre salaire brut, afin, justement, de ne plus avoir besoin de recourir au crédit grâce à vos économies ! moine Desjardins, c’est pouvoir assumer ses dépenses fixes (maison, électricit­é, voiture, dettes, etc.), ses dépenses variables (sorties, etc.) « et avoir une marge de manoeuvre pour les imprévus ». Pour accorder ou non un prêt hypothécai­re, par exemple, les institutio­ns financière­s jugent qu’un taux sain ne doit pas dépasser 40 % des revenus bruts mensuels, incluant l’emprunt hypothécai­re.

Vous vous demandez si vous avez les moyens de rembourser un emprunt supplément­aire, des mensualité­s hypothécai­res plus élevées ? Pendant trois mois, mettez de côté les versements mensuels que vous devrez faire, conseille Sophie Sylvain. Quelles sont les répercussi­ons sur votre qualité de vie ? Êtes-vous pris à la gorge ? « C’est une bonne piste pour éviter le surendette­ment », dit-elle.

Propriétai­res, attention d’être tentés par le diable de la réno, met en garde Carole Grenier : « Votre cuisine de rêve peut vous mettre dans le rouge pour longtemps. » Gare

 ??  ?? 37
37
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada