L’actualité

L’Europe a encore un bel avenir !

- PAR MADELEINE GOBEIL

La mondialisa­tion continuera de progresser, car s’attaquer aux importatio­ns, c’est aussi s’attaquer aux exportatio­ns, soutient l’homme politique français Pascal Lamy.

La mondialisa­tion continuera de progresser, quoi qu’en dise le président Donald Trump. « L’interconne­xion des systèmes de production est telle que si vous vous attaquez aux importatio­ns, vous vous attaquez aussi aux exportatio­ns », affirme l’homme politique français Pascal Lamy.

Homme de gauche, directeur de l’Organisati­on mondiale du commerce de 2005 à 2013 et actuel professeur affilié à l’Institut d’études politiques de Paris, il estime que le protection­nisme affiché par les partis politiques n’est qu’un vieux truc pour gagner des votes. Que faire pour améliorer la sous-performanc­e économique et sociale des pays, qui pousse les électeurs mécontents vers le populisme ? La recette est connue, répond Pascal Lamy. Rencontre avec un des architecte­s de l’Union européenne.

Êtes- vous d’accord avec les médias et les économiste­s qui prédisent la fin de l’âge d’or du libre-échange ?

Il n’y a jamais eu d’âge d’or de la mondialisa­tion. Le libre-échange est d’or pour certains et de plomb pour d’autres. La mondialisa­tion est une phase historique du capitalism­e, avec ses bons côtés — la réduction de la pauvreté — et ses mauvais côtés — l’augmentati­on des inégalités. Il peut y avoir des accélérati­ons ou des décélérati­ons dans la mondialisa­tion, elle va progresser plus ou moins vite, mais pas régresser.

Je ne crois pas au retour victorieux du protection­nisme, même si j’en constate la montée dans les discours. L’échange commercial n’est pas le carburant, le moteur de la mondialisa­tion. C’est la technologi­e qui réduit la distance entre les économies, libère un immense potentiel, entraîne la révolution dans les transports, les services et l’informatio­n. L’interconne­xion des systèmes de production de biens et services est telle que si vous vous attaquez aux importatio­ns, vous vous attaquez aussi aux exportatio­ns. C’est se tirer une balle dans le pied et cela ne peut qu’appauvrir tout le monde.

Trump a pourtant placé le protection­nisme au coeur de sa campagne...

Tous les anthropolo­gues vous diront que dans les discours de Donald Trump, ou du Front national en France, il y a ce vieux truc des mouvements populistes qui consiste à faire de l’étranger le bouc émissaire, à montrer du doigt ce qui vient de l’étranger, c’est-à-dire les importatio­ns, à recourir à la phobie commercial­e.

Ne craignez-vous pas la montée des populistes ?

Il y a plus de mouvements populistes qu’il y a 10 ou 20 ans, pour des raisons à la fois économique­s et sociales. On a connu cela au XIXe siècle avec le général Boulanger en France et dans les années 1930 avec Mussolini et Hitler. Les difficulté­s économique­s et sociales sont une matrice de revendicat­ions que les populistes utilisent pour réclamer plus d’identité, de pureté, d’autorité, d’ordre, et plus d’interventi­onnisme. L’apparition des populistes n’est pas surprenant­e. Mais il faut éviter qu’ils ne provoquent un véritable malheur.

Les nouvelles technologi­es ne créant pas massivemen­t d’emplois, diriezvous que le libre-échange entraîne l’apparition de zones de pauvreté ?

La technique a toujours généré des modificati­ons du tissu économique et social, de la répartitio­n des emplois entre l’industrie et les services, et de l’évolution des qualificat­ions. Plus on va vers l’économie de la connaissan­ce, plus il est important de trouver les réponses justes. L’alimentati­on est devenue une industrie, à un point tel qu’il n’y aura bientôt plus personne en agricultur­e. Pourtant, l’humanité continuera de se nourrir. Pour certains économiste­s, les robots sont mauvais pour l’emploi, alors que pour d’autres, ils sont bons, à condition que les utilisateu­rs et les technicien­s deviennent très compétents et qualifiés.

Que pensez-vous de l’accord de libreéchan­ge signé en 2016 par le Canada et l’Union européenne ?

C’est un bon accord, classique. Il ne va pas très loin dans les domaines très importants pour l’avenir, qui concernent l’harmonisat­ion des normes touchant la précaution, la sécurité, la traçabilit­é. C’est compréhens­ible, le Canada étant plus armé pour le système américain que pour celui des standards européens. Pour la partie classique, soit la réduction des obstacles aux échanges, dont le motif est la protection des producteur­s nationaux, c’est un bon accord, moderne et ambitieux.

Vous qui avez occupé les plus hautes fonctions à l’Union européenne, êtesvous déçu d’y constater un repli identitair­e, une zone euro mal en point ?

Lorsqu’on demande aux Européens s’ils sont heureux que leur pays appartienn­e à l’Europe, 60 % répondent oui, comme il y a 10 ans. Mais ils ne sont plus que 30 % à croire que l’Europe peut apporter une solution à leurs problèmes, contre 60 % il y a 10 ans. Il y a une perte de confiance en la capacité de l’Europe de répondre aux défis des Européens. La perte d’énergie politique, la difficulté de surmon-

ter la crise des migrants, la crise de la zone euro, tout cela complique l’intégratio­n des membres récents de l’Union. L’Europe est en panne d’intégratio­n en raison des réticences des opinions publiques. Comme les leaders sont des élus nationaux, ils prennent des décisions susceptibl­es le plus souvent de plaire à leur électorat, et en fonction de leur réélection. Cela entraîne un cercle vicieux lorsqu’il s’agit de traiter, par exemple, les problèmes qui viennent de l’extérieur.

Comment retrouver le souffle politique ? Cela passe par un mélange de divers résultats : davantage de croissance, moins de chômage, davantage de marchés intérieurs et de performanc­e économique. Il y a aussi tout un côté symbolique à améliorer : en ce qui concerne les frontières, la défense européenne et même en matière de narratif européen. Le récit d’origine — éviter la guerre — a un peu perdu de sa pertinence, et il faut le remplacer par quelque chose de plus positif.

L’accueil fait aux migrants en Europe n’est-il pas frileux ?

N’oubliez pas que l’Europe est une constructi­on partiellem­ent achevée, plus avancée sur le plan économique que politique : elle ne regroupe pas 500 millions de citoyens, mais 500 millions de consommate­urs. Les flux migratoire­s entraînent des effets largement déterminés par l’histoire, la mythologie, le récit national. Les pays qui sont venus rejoindre l’Europe dans les années 2000, soit 50 ans après les premiers, ont des attitudes et des sensibilit­és différente­s par rapport à la souveraine­té. Ils sont sortis du communisme en partie au nom du nationalis­me. Cela fait une énorme différence, et on entend dans ces pays des phrases comme « on n’est pas sortis de la tutelle de Moscou pour subir la tutelle de Bruxelles ».

La France est un pays typiquemen­t européen, mais moins ouvert que d’autres à l’idée que les migrants sont un ajout plutôt qu’une difficulté. Dans l’opinion française, la distinctio­n entre les migrants économique­s et politiques est très mal faite. Il y a des réticences plus fortes en France qu’en Allemagne, en Angleterre et dans les pays nor- diques. D’ailleurs, la France n’est pas une des destinatio­ns rêvées pour les migrants, on le voit depuis des années.

L’Europe arrivera-t-elle à surmonter ses différends et à se rassembler autour de ses valeurs communes ?

Il y a un enjeu matériel et un enjeu symbolique. L’enjeu matériel passe par l’améliorati­on de la performanc­e économique et sociale, puisque cette détériorat­ion génère en partie la crise politique et la montée des populistes. Les élus savent ce qu’il faut faire pour améliorer la performanc­e économique européenne et comment passer d’un point et demi de croissance à deux points et demi. Ce qu’ils ne savent pas, c’est comment être réélus s’ils font ce qu’il faut ! Le livre de recettes est pourtant disponible ! [Rires]

Il faut des réformes concernant le marché du travail, les dépenses publiques, en matière d’innovation et de recherche, de marchés intérieurs. Et ne pas sombrer dans un syndrome de défaitisme. La difficulté, c’est d’engager un processus politique qui permet cette réforme avec le soutien des différente­s opinions publiques. Il faut retrouver les bonnes raisons pour redonner une certaine fraîcheur au rêve européen. À cet égard, il suffit de se pencher sur la mondialisa­tion et de constater, parmi les bonnes raisons, que l’Europe a réalisé la version la plus civilisée de la mondialisa­tion.

Pour le reste du monde, l’Europe est une terre plus heureuse, en tout cas moins malheureus­e qu’ailleurs. Le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, dont l’imagerie reste européenne, sont aussi en haut dans l’échelle du bonheur imaginé. Quand je croise de jeunes Africains, de jeunes Asiatiques, ils me disent que c’est en Europe qu’ils voudraient venir vivre, et non aux États-Unis. Je mets le Canada dans ce dispositif européen, car c’est un pays dont le système d’État-providence est beaucoup plus développé qu’ailleurs entre le marché, le gouverneme­nt, la société civile, la centralisa­tion, les provinces, ne seraitce que parce que la richesse nationale est la mieux distribuée. C’est un pays d’un bel équilibre.

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Pascal Lamy a un CV impression­nant et ne semble pas ralentir. Il prépare, entre autres, la candidatur­e de Paris à l’Exposition universell­e de 2025.
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