Des trous dans la loi
Le nombre d’armes à autorisation restreinte en circulation a doublé depuis 10 ans au Canada. Un legs du gouvernement Harper ?
Le nombre d’armes à autorisation restreinte en circulation a doublé depuis 10 ans au Canada. Un legs du gouvernement Harper?
LE Canada est un des rares pays d’Occident à avoir assoupli ses règles sur la possession d’armes à feu au cours de la dernière décennie. Hasard ou conséquence ? Durant la même période, le nombre d’armes à autorisation restreinte possédées par des particuliers a doublé. Près de 800 000 de ces armes de poing ou semi-automatiques appartiennent aujourd’hui à des Canadiens en toute légalité.
La Torontoise Wendy Cukier, porte-parole de la Coalition pour le contrôle des armes, affirme que les 10 ans de règne conservateur ont facilité l’accès à cet arsenal. Même si elles ne sont censées servir qu’au tir sportif, certaines de ces armes finissent sur le marché noir ou sont utilisées à mauvais escient par leur propriétaire. « Plus il y a d’armes en circulation, plus il y a de crimes violents, la preuve n’est plus à faire », dit-elle. Le taux d’homicide par arme à feu est six fois plus élevé aux États-Unis — plus libéraux en matière d’accès aux armes — qu’au Canada.
Or, ce type de crime violent, qui était en baisse depuis des décennies au Canada, semble remonter depuis 2014, selon Statistique Canada. Le temps dira s’il s’agit d’une tendance. Autre indice troublant : la majorité des armes de poing récupérées sur les scènes de crime à Toronto proviennent désormais du Canada plutôt que des États-Unis, selon un rapport du Service de police de la métropole canadienne. « Il est trop tôt pour tirer une conclusion claire, mais c’est peut-être le signe que les criminels n’ont plus besoin d’utiliser des armes issues de la contrebande », dit Wendy Cukier.
Au moment de mettre sous presse, la Sûreté du Québec refusait de confirmer le type d’arme utilisée le présumé tireur de l’attentat dans une mosquée de Québec. Selon des sources journalistiques, il s’agissait d’une arme longue et d’une arme de poing, vraisemblablement acquises légalement au Canada.
Une foule de petits changements adoptés au fil des ans ont fini par créer des trous dans le contrôle des armes à feu, selon Wendy Cukier. Alors que l’abolition du registre des armes d’épaule a monopolisé l’attention ces dernières années, d’autres modifications sont passées sous le radar.
Les plus récentes résultent du projet de loi C-42, adopté en juin 2015, à la toute fin de la session parlementaire. Elles visaient un allégement administratif de la délivrance des permis, a expliqué lors de son adoption Steven Blaney, alors ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile du gouvernement conservateur.
Aperçu.
MOINS D’OBLIGATIONS POUR LES VENDEURS
Les vendeurs d’armes sans restriction n’ont plus l’obligation de vérifier la validité du permis de possession d’arme de l’acheteur avant de conclure la vente. Même si les plus consciencieux continuent de le faire, ils ne s’exposent à aucune sanction s’ils vendent une arme à quelqu’un qui leur présente un permis expiré ou qui fait l’objet d’une enquête.
TRANSPORT FACILITÉ
Depuis 2015, les propriétaires d’armes peuvent faire ajouter à leur permis le droit de les transporter pour des « activités routinières et légitimes », comme la fréquentation d’un centre de tir, la visite d’une armurerie ou d’une exposition d’armes à feu. Auparavant, il fallait obtenir une autorisation de transport auprès de la GRC pour chacun de ces types de déplacement.
LES POLITICIENS S’EN MÊLENT
Jusqu’à récemment, c’est la GRC qui déterminait quels types d’arme devaient être prohibés. C’est désormais le Conseil des ministres qui a le dernier mot. L’an dernier, la GRC a tenté d’interdire deux armes, dont celle utilisée par Richard Henry Bain lors de l’attentat du Métropolis, en 2012, soit une carabine semi-automatique CZ-858 qui avait été modifiée afin de pouvoir la charger de 30 balles au lieu de 5. Le gouvernement fédéral a ensuite infirmé cette décision.
Un rapport de la GRC, obtenu par la CBC grâce à la loi d’accès à l’information, indique qu’en raison de l’arrivée sur le marché de nouveaux modèles d’armes, notamment, le nombre d’armes semi-automatiques pouvant être trafiquées pour devenir automatiques a augmenté de façon spectaculaire au Canada depuis 10 ans. Elles sont vendues avec la même facilité qu’une arme de chasse.
Le ministre conservateur Steven Blaney a refusé de les interdire, affirmant que le Code criminel prévoit déjà que trafiquer une arme est illégal.
En campagne électorale, Justin Trudeau avait promis de revenir en arrière sur plusieurs des mesures adoptées par les conservateurs. Il faudra voir si l’attentat de Québec fera grimper la réalisation de cette promesse sur la liste de ses priorités.