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L’éden à deux coups de rame

La plus grande collectivi­té sans voitures en Amérique du Nord se trouve sur un archipel à une dizaine de minutes du centre-ville de Toronto. Visite guidée.

- PAR GUILLAUME ROY

La plus grande collectivi­té sans voitures en Amérique du Nord se trouve sur un archipel à une dizaine de minutes du centre-ville de Toronto.

Imaginez un milieu de vie sans voitures, où les enfants peuvent jouer en toute sécurité, sans surveillan­ce, dans des rues piétonnes, à un jet de pierre d’une longue plage de sable bordant un lac aux eaux turquoise. Imaginez que cette oasis se trouve à moins de 10 minutes du centre-ville de Toronto, et que le prix des maisons est à l’abri de toute spéculatio­n. Ce paradis existe. Bienvenue aux îles Ward et Algonquin, dans l’archipel de Toronto, où l’on trouve la plus grande collectivi­té sans voitures en Amérique du Nord.

« C’est un rêve de vivre ici », dit Michel French, ingénieur dans la cinquantai­ne, venu il y a deux ans rejoindre sa conjointe sur l’île Ward. « Nous vivons tout près de la plus grande métropole du Canada, mais on se croirait au jardin d’Éden. »

Comme une bonne partie des 750 personnes qui résident dans les 262 maisons de l’archipel, Michel French prend chaque matin un traversier, qui le conduit en une dizaine de minutes au centre-ville de Toronto. À la fin de sa journée de travail, il fait le chemin inverse, en profitant de l’effet apaisant de l’eau du lac Ontario, sa potion antistress.

En route vers sa maison, à cinq minutes à pied du quai, Michel French passe devant une marina, où sont amarrés des yachts et des voiliers, puis devant un café achalandé en cette fin de journée. Le long des petits sentiers de béton et de bois qui sillonnent les quartiers, les maisons, la majorité en bois, sont modestes, à part quelques rares demeures plus luxueuses. Elles ont conservé le cachet pittoresqu­e des années 1920 et certaines sont agrémentée­s de charmants jardins de style anglais, d’autres de coins de verdure sur la toiture. L’ambiance est décontract­ée et les enfants profitent des dernières heures de clarté pour jouer au baseball.

Vous aimeriez vous installer dans les îles ? Il vous faudra patienter sur une liste d’attente gérée par une fiducie. Si vous vous inscrivez maintenant, vous devriez pouvoir acheter une maison… dans un peu plus de 25 ans, et seulement si vous vous engagez à vivre à plein temps sur l’île.

Les habitants ont dû se battre pendant longtemps pour conserver le droit de vivre dans cet endroit idyllique. La bataille a commencé lorsque le Conseil du Toronto métropolit­ain (CTM, l’organisme de gouvernanc­e en place avant les fusions municipale­s de 1998) a voulu créer des espaces verts à proximité du centre-ville, pour faire contrepoid­s à l’autoroute construite dans les années 1950. L’archipel semblait l’endroit tout désigné. Le CTM a donc entrepris de raser les bâtiments, les îles abritant à l’époque de petits hôtels de villégiatu­re, des théâtres et des magasins, en plus de 630 maisons et chalets. Plus de la moitié ont été détruits.

En 1973, malgré une résolution votée par le conseil municipal de Toronto pour préserver les collectivi­tés insulaires, le CTM a voulu poursuivre les expropriat­ions. Un an plus tard, l’Associatio­n des résidants des îles de Toronto entamait une bataille juridique, qu’elle allait perdre en 1978. Mais en 1980, les insulaires bloqueront le passage du shérif venu les expulser.

Les années ont passé, mais les résidants ont maintenu la pression sur les élus, si bien qu’en 1993 le gouverneme­nt ontarien a voté une loi accordant des baux de location de 99 ans sur les terrains où l’on trouvait déjà des résidences. La loi stipulait également qu’une société — la Société de fiducie portant sur la zone résidentie­lle des îles de Toronto — serait créée pour gérer l’administra­tion du parc immobilier sur les îles Ward et Algonquin.

Pour favoriser une population mixte, de classe moyenne, plutôt qu’un groupe de riches propriétai­res, la Société veille à ce qu’il soit impossible de faire de la spéculatio­n : les maisons ne peuvent valoir plus que le coût de reconstruc­tion, soit de 150 000 à 600 000 dollars. De plus, elles ne peuvent être cédées qu’à un conjoint ou à des enfants. Autrement, elles sont vendues au premier sur la liste d’attente qui accepte d’acquérir la demeure.

Les beaux-parents de Jeff Kearns, qui habitent sur l’île, ont eu la bonne idée d’inscrire le nom de leur fille sur la liste d’attente lorsqu’elle était jeune. Jeff et sa femme ont ainsi pu trouver en 2014 un petit paradis à moins de 100 m de la plage. « Sur le marché libre, notre maison vaudrait près de trois millions de dollars, mais nous l’avons payée seulement 350 000 dollars », dit Jeff Kearns, artiste de cirque, qui, comme tous les mercredis, a invité des amis pour une soirée cirque et barbecue.

« C’est génial de pouvoir élever sa famille ici », soutient Sarah Rosensweet, une mère de trois enfants de 9, 12 et 15 ans. Dans ce milieu sans voitures, parsemé de parcs et de terrains de jeu, les enfants peuvent jouer dehors sans crainte pour leur sécurité, dit-elle. La confiance est si grande que les vélos, planches à roulettes et autres jouets traînent ici et là dans les entrées, sans surveillan­ce. Presque tout le monde se connaît. « C’est comme si on

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