L’Indien qui construit des glaciers
En créant des glaciers artificiels, l’Indien Sonam Wangchuk fait jaillir l’eau et la végétation des vallées désertiques du Ladakh. Un chantier unique dans l’adaptation au réchauffement climatique.
Sonam Wangchuk fait jaillir l’eau et la végétation des vallées désertiques du Ladakh.
Cet homme-là possède un grain de génie, à moins que ce ne soit un grain de folie. Sonam Wangchuk, 50 ans, contemple le désert aride qui l’entoure, au pied du monastère du village de Phyang, sur le plateau himalayen du Ladakh, dans le nord de l’Inde. C’est l’ouverture de son chantier d’hiver. À la fois ingénieur, inventeur et éducateur, il s’est donné une mission titanesque : faire surgir eau, arbres, champs et vie de ces terres rocheuses frappées par le réchauffement climatique. En créant cette année sept miniglaciers artificiels, il tente d’apporter une solution aux problèmes d’irrigation des paysans du Ladakh : « Je veux offrir une réponse himalayenne à un problème himalayen. »
Son idée consiste à détourner, entre novembre et mars, l’eau du ruisseau situé sur les hauteurs pour alimenter des glaciers artificiels. Il est déjà parvenu à « créer » un glacier au cours des deux hivers derniers, au même endroit. Acheminée par des conduites souterraines sur une distance de 2,3 km, l’eau jaillit en fontaine et gèle au contact de l’air, sur un dôme couvert de branchages. La glace forme peu à peu un cône gigantesque, baptisé
« stoupa de glace » , par analogie avec l’architecture bouddhiste. En mars, la pyramide est large de 20 m et haute de 30 m, soit l’équivalent de 15 millions de litres d’eau gelée.
« Durant la saison sèche, en avril et mai, avant la fonte des glaciers naturels, la pyramide se dissout lentement et permet d’irriguer les environs », poursuit Sonam Wangchuk. Déjà, 5 000 arbustes ont été replantés sur une parcelle du désert appartenant aux moines. Et depuis le printemps 2016, les villageois bénéficient directement de l’irrigation des terres. « Le but est de générer des revenus pour les habitants », explique l’ingénieur.
« Au Ladakh, on ne peut échapper à la désertification liée aux changements climatiques », rappelle-t-il. Les précipitations et les températures sont perturbées. Avec des neiges moins abondantes, l’étendue des glaciers rétrécit dans ces vallées où les terres ont déjà permis de cultiver orge, blé, moutarde, luzerne, abricots et légumes.
C’est un autre ingénieur, Chewang Norphel, qui le premier a eu l’idée de réservoirs consolidés par des digues, dès la fin des années 1980. Il en a construit 11, dont celui de Chang La, à 5 200 m d’altitude. En 2010, des inondations ont endommagé ses ouvrages, aujourd’hui à l’abandon. « À une telle altitude, l’entretien était difficile, commente Sonam Wangchuk. J’ai voulu adapter son idée plus bas, dans les villages. » Et en raison de la forme pyramidale du glacier, l’exposition au soleil est réduite et la fonte de la glace est ralentie.
Si la construction du dôme est simplissime, les canalisations ont été un cauchemar. Lors du premier chantier, elles se sont rompues, ce qui a poussé l’armée indienne à acheminer par avion, in extremis, des canalisations de remplacement…
Lauréat des Prix Rolex à l’esprit d’entreprise 2016, Sonam Wangchuk a reçu 100 000 francs suisses pour l’aider dans ses travaux, après les avoir précédemment financés par des campagnes de sociofinancement sur le Web. Il envisage désormais la construction d’une université en contrebas du village, afin de redonner vie à la région.
En attendant, l’ingénieur passe un rude hiver dans un chalet, avec son équipe de volontaires, pour surveiller la formation de ses pyramides. La solitude est le prix de son rêve, même si les glaciers artificiels ne pourront jamais remplacer les vrais.