L’actualité

Oui aux taxes vertes !

Le Canada doit moderniser ses politiques fiscales à tous les ordres de gouverneme­nt pour devenir à la fois plus vert et plus prospère, croit l’économiste Christophe­r Ragan, président fondateur de la Commission de l’écofiscali­té du Canada.

- PAR VALÉRIE BORDE

Le Canada doit moderniser ses politiques fiscales pour être plus vert et plus prospère, croit l’économiste Christophe­r Ragan.

Moins d’impôts pour les contribuab­les et les entreprise­s, moins de pollution et de chômage, et pas moins d’argent dans les coffres de l’État ! C’est ce que le Danemark a réussi à faire depuis la fin des années 1990. Son truc : taxer lourdement les émissions polluantes, les déchets, la consommati­on d’eau, imposer des péages routiers, puis utiliser l’argent récolté pour réduire les impôts et doper l’économie. Ce genre de politique dite « écofiscale » se répand partout sur la planète. Mais le Canada est à la traîne, estime Christophe­r Ragan, président fondateur de la Commission de l’écofiscali­té du Canada. Cet organisme indépendan­t, financé par huit fondations familiales, Suncor et la Banque TD, réunit 12 économiste­s, principale­ment des universita­ires experts en politiques publiques, qui étudient comment les gouverneme­nts fédéral, provinciau­x et les autorités municipale­s pourraient s’inspirer de ce qui se fait ailleurs pour rendre le Canada à la fois plus vert et plus prospère. « Nous ne sommes pas un groupe partisan ni écologiste, mais des experts en économie, et nous avons l’arrogance de croire que les politicien­s pourraient nous écouter », dit Christophe­r Ragan. Vous parlez de réconcilie­r économie et environnem­ent. Pourquoi ? L’idée qu’on doit choisir entre, d’un côté, de bons emplois et des entreprise­s rentables et, de l’autre, un environnem­ent sain et des ressources naturelles durables est encore très répandue. Mais c’est faux. Le patrimoine naturel du Canada est essentiel à notre prospérité. Nous avons besoin d’écosystème­s en santé pour le tourisme, les pêcheries, la foresterie et l’agricultur­e, l’eau potable est vitale pour nos collectivi­tés et nos entreprise­s, notre santé dépend de la qualité de l’air que nous respirons. Cela dit, les politiques environnem­entales n’ont pas à être coûteuses pour être efficaces. Au contraire, si on mise sur l’écofiscali­té, elles peuvent stimuler l’innovation et la compétitiv­ité et contribuer à faire diminuer les autres

taxes et impôts — qui freinent actuelleme­nt la croissance —, sans pour autant pénaliser les plus démunis.

Qu’est-ce au juste que l’écofiscali­té ?

L’écofiscali­té consiste à taxer les émissions de gaz à effet de serre, la pollution et le gaspillage des ressources naturelles et à supprimer les subvention­s qui les encouragen­t. On peut, par exemple, fixer un prix pour les émissions de carbone des entreprise­s, lutter contre la congestion automobile au moyen de frais d’utilisatio­n des routes, facturer l’épuration de l’eau ou l’éliminatio­n des déchets domestique­s selon les quantités à traiter, ou encore faire payer les effluents industriel­s ou agricoles selon leur charge polluante.

L’écofiscali­té est une idée vieille comme le monde, mais qu’on applique très mal au Canada. Les recettes écofiscale­s ne représente­nt que 1 % du produit intérieur brut du Canada, contre 4 % dans certains autres pays de l’OCDE ! On doit faire beaucoup mieux, car cet argent peut aussi aider les gouverneme­nts à diminuer les impôts sur le revenu, qui, eux, nuisent à la performanc­e économique.

De telles mesures sont-elles vraiment efficaces ?

Elles ont fait leurs preuves dans de nombreux endroits du monde. À Singapour, par exemple, la consommati­on d’eau a diminué de 9 % quand l’État a mis en place un système de tarificati­on. À Londres, la circula tion automobile a baissé de 36 % en 10 ans dans l’un des quartiers les plus fréquentés à la suite de l’instaurati­on d’un péage routier. Dans tout le Royaume-Uni, de nouvelles politiques écofiscale­s sur les déchets solides ont fait diminuer de 40 % les quantités enfouies dans les dépotoirs. En Colombie-Britanniqu­e, depuis que la taxe sur le carbone a été instaurée, en 2008, la consommati­on de carburant a baissé de 16 %, alors qu’elle a augmenté de 3 % dans le reste du Canada !

Toutes ces taxes sont bien plus efficaces pour susciter des changement­s que les mesures actuelleme­nt privilégié­es par les autorités, comme les subvention­s ou des réglementa­tions contraigna­ntes, qui peuvent être onéreuses pour l’État et pour l’économie en général. N’est-ce pas un fardeau supplément­aire pour les plus démunis ?

Au Canada, la congestion est un problème qui coûte très cher à l’économie et aux travailleu­rs.

Non, pas si on compense en leur redistribu­ant une partie de l’argent récolté. C’est ce qu’a fait Singapour, par exemple, avec sa taxe sur l’eau, dont une partie finance des remboursem­ents d’impôts pour les familles à faible revenu.

Pour le Canada, nous avons analysé l’effet d’un prix sur le carbone fixé à 30 dollars la tonne sur les revenus des ménages pour quatre provinces, et montré que les moins nantis seraient touchés de manière disproport­ionnée. Mais on peut calculer les répercussi­ons de cette mesure sur les revenus, et utiliser les recettes du marché du carbone pour compenser l’iniquité par des crédits de taxes ou des baisses d’impôts. Notre simulation montre que dans tous les cas, il suffirait d’affecter, selon les provinces, environ 10 % des recettes du carbone aux deux plus bas quintiles de revenus pour compenser l’iniquité. Pour le Québec, vous suggérez que les recettes du carbone soient investies dans les infrastruc­tures. Construire des routes avec l’argent de la pollution, n’est-ce pas paradoxal ? Beaucoup de gens croient que les recettes écofiscale­s devraient être consacrées à des projets verts. Pourtant, il n’y a aucune raison pour que ce soit forcément le cas. Ces mesures servent à décourager la pollution tout en dégageant des revenus pour l’État. Pour les gouverneme­nts, ceux-ci n’ont pas à être considérés comme différents des autres taxes ou impôts. Et ils doivent servir avant tout là où les besoins sont les plus pressants. Comparativ­ement aux autres provinces canadienne­s, le Québec a grand besoin de rénover ses infrastruc­tures. Mais il pourrait tout aussi bien consacrer les recettes écofiscale­s au remboursem­ent de la dette, à la santé ou à l’éducation. C’est à chaque gouverneme­nt de décider comment il entend utiliser ces nouvelles sources de revenus en fonction de son évaluation des besoins. N’y a-t-il pas un risque que les gouverneme­nts s’enrichisse­nt sur le dos des contribuab­les sous des apparences vertueuses ? Le mot clé, c’est la transparen­ce, mais cela ne vaut pas juste pour l’écofiscali­té ! Les gouverneme­nts devraient être beaucoup plus clairs sur les raisons qui les motivent à dépenser l’argent des taxes et des impôts dans tel ou tel programme. Votre Commission a recommandé d’installer des péages sur tous les ponts de Montréal pour lutter contre la congestion, ce qui a fait hurler bien des automobili­stes. N’est-ce pas une mesure trop radicale ? Nous voulons avant tout lancer le débat. La congestion est un problème de plus en plus important au Canada, qui coûte très cher à l’économie et aux travailleu­rs, en perte de productivi­té et en occasions manquées, et nuit sérieuseme­nt à la santé. Devant ce problème, les villes du Canada ont eu le réflexe de multiplier les choix de modes de transport, mais elles ont très peu fait pour réellement inciter les gens au changement.

La Commission a examiné comment la congestion a été combattue avec succès ailleurs dans le monde, puis a proposé ce qui lui semble être les meilleures pistes de solutions pour Vancouver, Calgary, Toronto et Montréal. Mais nous avons surtout insisté sur le fait qu’il faut commencer par des projets-pilotes, très bien planifiés et évalués par les villes, et soutenus par les provinces et le fédéral. La « tarificati­on au cordon », qui consiste à délimiter une zone dans laquelle il faut payer pour entrer, que nous proposons à Montréal, a été adoptée à Stockholm par référendum, à l’issue de sept mois de projet-pilote.

Partout dans le monde, la lutte contre la congestion routière soulève au début des tempêtes de protestati­on. Mais une fois les mesures passées, si elles ont été bien planifiées, tout le monde est content d’être débarrassé des embouteill­ages ! Le maire de Montréal, Denis Coderre, a rejeté votre propositio­n. Comment convaincre les politicien­s d’adopter ces mesures hautement impopulair­es ? M. Coderre sait très bien que la congestion est un vrai problème. Pendant longtemps, les politicien­s comme lui ont eu le réflexe de vouloir construire plus de routes ou de ponts pour diminuer la congestion. Mais on sait aujourd’hui que ce n’est qu’une fuite en avant, qui ne fonctionne absolument pas, et qui a beaucoup d’effets désastreux. Les mentalités commencent toutefois à changer. À Toronto et à Calgary, où nous avons suggéré de multiplier les voies HOT [des voies réservées payantes], les autorités municipale­s parlent de plus en plus d’adopter cette approche. Il faut un peu de courage politique pour embarquer… Quelles autres mesures la Commission sur l’écofiscali­té examinet-elle ? Nous nous sommes penchés sur les subvention­s aux biocarbura­nts, qui nous semblent particuliè­rement contre-productive­s — tout comme les subvention­s aux carburants fossiles, que nous examineron­s bientôt. Mais nous devons aussi réfléchir à la manière dont le fédéral doit adopter et encourager l’écofiscali­té, même si la plupart des sources de pollution, comme les déchets, les eaux usées ou les sols contaminés, sont sous la responsabi­lité des villes et des provinces.

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Copenhague, au Danemark. On y taxe la pollution pour mieux réduire les impôts.
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