L’effet Trump : prise 2
Claude Patry, ex-député bloquiste — élu en 2011 sous la bannière néo- démocrate de Jack Layton —, s’affiche désormais ouvertement comme un dirigeant de La Meute, groupe opposé à l’arrivée au Canada de migrants syriens. Sur son site Web, le groupe se décrit comme « le dernier rempart avant le grand bouleversement que les islamistes tentent de créer à travers l’Occident ». À l’origine, à l’automne 2015, La Meute recrutait à partir d’une page Facebook réservée aux initiés. Mais depuis l’été dernier, elle se manifeste publiquement, dans l’espoir de devenir une force politique avec laquelle il faudra composer.
À la fin de 2016, le groupe comptait plus de 43 000 adeptes. La sortie publique de l’ex-député Patry est survenue au début de 2017. Elle s’inscrit dans une tendance qui s’amplifie depuis l’arrivée à la MaisonBlanche de Donald Trump. Cette tendance dépasse largement les frontières du Québec.
À Toronto, le mois dernier, un millier de personnes se sont déplacées pour manifester contre la présentation à la Chambre des communes de la motion M-103, qui dénonce l’islamophobie et la discrimination fondée sur la religion.
Elles répondaient à l’invitation d’Ezra Levant, polémiste de droite qui a déjà été l’adjoint de l’ex-chef de l’Alliance canadienne Stockwell Day et dont la plateforme médiatique — TheRebel.media — est une pépinière d’idées qui s’apparentent à la mouvance de Donald Trump.
Des motions, il s’en adopte tous les mois depuis des lunes dans les assemblées législatives du Canada. Si elles ne sont pas dénuées d’un certain poids moral, elles font néanmoins partie de la catégorie des voeux pieux.
Le mois dernier, par exemple, l’Assemblée nationale a adopté à l’unanimité une motion pour dénoncer la publication dans le quotidien The Washington Post d’une chronique qui imputait au nationalisme québécois l’attentat contre la mosquée de Québec. Aux dernières nouvelles, le prestigieux quotidien américain n’avait pas cessé de publier…
Une dizaine d’années après l’adoption à Ottawa de la motion qui reconnaît que les Québécois forment une nation, on chercherait en vain une loi ou une initiative fédérale qui s’en inspire.
Tout cela pour dire que l’adoption d’une motion n’engage pas le gouvernement ou les partis qui l’appuient au moindre suivi législatif. Dans le cas de la motion M-103, elle invite le gouvernement de Justin Trudeau à charger un comité parlementaire d’étudier la question de la discrimination systémique fondée sur la religion.
Cela n’a pas empêché quatre candidats à la succession de Stephen Harper — dont les ex-ministres Chris Alexander et Kellie Leitch — de participer à la soirée de dénonciation de la motion M-103 et de faire leurs les craintes de ses détracteurs.
Selon ces derniers, la motion M-103 — parce qu’elle désigne l’islamophobie — ouvre la porte à l’instauration de la charia au Canada, menace la liberté d’expression de ceux qui s’insurgeraient contre Daech et, en prime, accorde un traitement de faveur à la religion musulmane par rapport aux autres religions.
Cela revient à dire que si le Parlement dénonçait l’antisémitisme — ce qu’il a fait à maintes reprises au fil des années —, il bannirait du même coup le droit de critiquer les politiques de l’État d’Israël.
Étrangement, le Parti conservateur — y compris les candidats au leadership qui sont montés aux barricades contre la motion M-103 — ne s’était pas opposé en octobre à l’adoption à l’unanimité par les Communes d’une motion néo- démocrate qui dénonçait, elle aussi, l’islamophobie. Cette motion n’avait fait aucune vague médiatique ou autre.
Cette fois-ci, l’opposition conservatrice a exigé, en échange de son appui à la motion M-103, que le mot « islamophobie » soit retiré du texte libéral, ce que le gouvernement a refusé.
L’auteure de la motion, la députée libérale ontarienne Iqra Khalid, a reçu 50 000 messages qui, pour la plupart, condamnaient son initiative, souvent en des termes racistes, violents ou haineux. À Toronto, des manifestants se sont massés devant une mosquée pour scander des slogans antimusulmans.
Jusqu’à récemment, l’immigration et le sous-thème de l’accueil des réfugiés n’avaient pas été des sujets polarisants de la politique fédérale. Aucun aspirant au poste de premier ministre n’aurait voulu s’associer à un événement susceptible de fournir prétexte à casser du sucre sur le dos de la communauté musulmane. Il y a bien un avant et un après… l’arrivée à la Maison-Blanche de Donald Trump.