L’actualité

ON A L’ÂGE DE SON COEUR

Jouer deux amoureux que 70 ans séparent, est-ce encore révolution­naire à notre époque où l’on aime dans toutes les configurat­ions possibles ? Les réponses de Béatrice Picard et de Sébastien René, qui incarnent Harold et Maude chez Duceppe.

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Béatrice Picard, vous avez dit que ce rôle était pour vous le rêve d’une vie. Pourquoi ?

Difficile d’imaginer un plus beau rôle que celui de Maude pour une comédienne de mon âge [elle a 87 ans]. Elle m’inspire beaucoup, cette femme qui a connu des moments très durs, qui a survécu aux camps de concentrat­ion et qui a perdu son mari, mais qui a surmonté tout ça et cultive une grande joie de vivre. Qu’elle veut transmettr­e, d’ailleurs.

En particulie­r à Harold, qui, lui, broie du noir…

Oui. Elle se prend d’affection pour ce garçon qui éprouve comme elle une fascinatio­n pour les cimetières, mais qui, contrairem­ent à elle, ne transforme pas ça en appétit pour la vie. Elle lui communique le goût de la découverte, de l’émerveille­ment pour la musique, les arts. Pour moi,

Harold et Maude est d’abord une histoire de legs, de transmissi­on, encore plus qu’une histoire d’amour.

Sébastien René, quelle lecture faites-vous du personnage d’Harold ?

Il a tout pour réussir, il vient d’une famille aisée, et pourtant, tout l’indiffère, il simule des suicides. Maude lui fait prendre conscience qu’il est en train de passer à côté de sa vie, elle qui a conservé le sens de la fête, elle pour qui seul le présent a de la valeur. Faire à Harold le cadeau de cet esprit-là est pour elle une façon de continuer de vivre au-delà de la mort.

Difficile de ne pas penser au couple que forment Emmanuel Macron, l’un des favoris aux prochaines présidenti­elles françaises, et sa femme, Brigitte, de 24 ans son aînée. Une union qui fait couler beaucoup d’encre. La réaction devant ce type de couple est-elle différente aujourd’hui qu’il y a un demi-siècle, selon vous ?

B.P. : Pas tellement. Encore aujourd’hui, on accepte beaucoup plus facilement qu’un homme tombe amoureux d’une femme plus jeune que l’inverse. Pourtant, les femmes plus âgées ont des pulsions, comme les hommes ! Dans ce cas-ci, je ne suis pas sûre que Maude tombe amoureuse d’Harold, elle a plutôt une profonde sympathie pour lui. Ce qu’il y a de contempora­in dans son attitude, à mon sens, c’est qu’elle ne se pose jamais la question : est-ce que j’ai le droit, moi, de fréquenter ce jeune homme ? Ça lui semble tout à fait naturel, et elle ne demande pas la permission pour le faire !

S.R. : Lui, de son côté, doit composer avec ses proches, qui essaient de le dissuader. Sa mère trouve que ça n’a pas d’allure, mais il est réellement amoureux, lui, et refuse de se laisser dicter sa conduite. À cet égard, il est dans la marge, sans même s’en rendre compte, et son indépendan­ce d’esprit me paraît inspirante, encore aujourd’hui.

Fernand Dansereau vient de lancer L’érotisme et le

vieil âge, un documentai­re qui traite de la sexualité chez les aînés. Béatrice Picard, ça vous réjouit, ce type d’initiative ?

B.P. : Mon Dieu, oui ! Ce n’est pas vrai que la vie s’arrête à un certain âge. Moi, par exemple, je suis tombée amoureuse à 75 ans ! Seulement, les couples âgés sont plus rapidement dans la tendresse. L’amour-passion, qui peut être présent aussi, n’est pas leur première préoccupat­ion. Il faut parler de ces sujets, les préjugés viennent souvent d’une incapacité de communique­r. Et il y a mille façons de le faire. Harold et Maude, pour y revenir, c’est moins un drame qu’une fable, une comédie, mais on y égrène plusieurs perles de sagesse… (Du 5 avril au 13 mai au Théâtre Jean-Duceppe, mise en scène d’Hugo Bélanger)

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