Oraisons funèbres
On jurerait parfois que Marie-Claire Blais a des antennes. Dans ses romans, celle que l’on considère comme notre plus grande écrivaine vivante est capable non seulement de syntoniser les voix de l’humanité avec une justesse inouïe, mais aussi de décrire les bouleversements du monde en temps presque réel.
À preuve, le neuvième tome de sa série Soifs, inspiré du cas de Dylann Roof, paraît au moment même où le jeune suprémaciste blanc vient d’être condamné à la peine de mort pour avoir assassiné neuf membres d’une congrégation noire à Charleston, en juin 2015. Celui que l’auteure désigne simplement par « le Jeune Homme » est représenté en prison, où il ressasse les préjugés racistes qui ont perverti son coeur et son esprit — et qui, vu son manque total de repentir, auront raison de son âme aussi.
Pendant que, sur une plage, un cortège de transsexuels s’apprêtent à assister à un concert à la mémoire d’un enfant mort du sida sous l’oeil désapprobateur des bonnes gens, le roman se fait plaidoyer contre la discrimination et la peine de mort, assimilées ici à l’hypocrisie extrême de ceux qui se donnent l’autorité morale de juger les marginaux. Marie-Claire Blais fait aussi l’oraison funèbre des victimes de tueries dans les écoles, des migrants noyés en Méditerranée, des vétérans traumatisés, des espèces animales en voie de disparition, de tous les Noirs abattus par des policiers... Un émouvant requiem pour notre époque — et, après l’attentat de Québec, un douloureux rappel que nul n’est à l’abri des crimes haineux.