L’actualité

Les grands-parents d’abord !

Et si la meilleure façon de retenir les familles à Montréal, c’était de penser aux aînés ?

- Par Marc-André Sabourin illustrati­on d’Audrey Malo

Et si la meilleure façon de retenir les familles à Montréal, c’était de penser aux aînés ?

Quand les trentenair­es à la base de l’Institut des génération­s, un groupe de réflexion sur l’équité intergénér­ationnelle, se réunissent pour réfléchir à l’avenir d’une ville, on s’attend à ce que leurs idées concernent essentiell­ement les jeunes. Si ces derniers ne sont pas oubliés dans le rapport Neuf idées pour un Montréal plus équitable envers les génération­s, publié en mai, force est de constater qu’une grande place est consacrée aux aînés.

L’actualité s’est entretenu avec l’un des auteurs du document, Samuel Labrecque, 31 ans, qui a été sensibilis­é aux enjeux du vieillisse­ment alors qu’il était attaché politique de l’ancien ministre de la Santé Réjean Hébert. Aujourd’hui, il voue sa carrière en communicat­ions aux aînés et est persuadé que Montréal — et même la société au grand complet — aurait tout avantage à écouter davantage le « pouvoir gris ».

La majorité des suggestion­s du rapport de l’Institut concernent les aînés. Est-ce à dire que Montréal néglige ses vieux ?

Montréal néglige essentiell­ement les personnes qui ont des conditions socioécono­miques difficiles. Or, ces gens sont souvent des aînés. Ce n’est pas propre à la métropole ; c’est vrai dans l’ensemble du Québec. La particular­ité à Montréal, c’est qu’on y observe un début d’exode des aînés. Comme les familles, ils partent vers les couronnes nord et sud, car c’est là que les services se développen­t, et le logement y est plus abordable. À Laval, le transport en commun est gratuit pour les 65 ans et plus !

Les familles et les aînés quittent la métropole... Est-ce que les enjeux vécus par ces deux groupes sont semblables ?

Ils ont leurs similitude­s, notamment en ce qui a trait au logement, au transport et à l’accessibil­ité des lieux. D’ailleurs, en urbanisme, on dit souvent que ce qui est bon pour une maman avec une poussette sera bon pour un aîné avec une marchette. La grande différence, c’est que les jeunes familles peuvent espérer améliorer leur sort financier avec le temps. Les personnes âgées, elles, sont prises avec leur rente, qui augmente moins rapidement que le coût de la vie. Sans parler des risques de perte d’autonomie et d’isolement.

Pourtant, ce sont les familles que les élus montréalai­s tentent de retenir dans l’île. Font-ils fausse route ?

Non, mais il faut rappeler que les aînés font aussi partie de ce qu’on appelle la famille. Cessons d’opposer les deux et d’avoir des politiques familiales qui n’incluent rien au sujet des grands-parents. Les jeunes sont souvent perçus comme plus susceptibl­es de travailler, de dépenser, de contribuer à la société. Mais les aînés font souvent du bénévolat, ils paient des taxes, ils ont des choses à dire. Ils génèrent une grande richesse, sociale et économique, qui est rarement considérée.

Iriez-vous jusqu’à dire que pour retenir les familles, à Montréal ou ailleurs, il faut retenir les aînés ?

Oui. En vivant dans le même milieu, tout le monde y gagne. Les aînés peuvent s’occuper des petits-enfants, la vie des proches aidants est facilitée. Mais en ce moment, on assiste plutôt à une ghettoïsat­ion des personnes âgées. Elles vont dans des résidences chromées avec plein de services ou dans des CHSLD, puis ne sortent plus de là.

Justement, l’une des idées mises de l’avant dans le rapport est le logement intergénér­ationnel, où des jeunes et des aînés sans lien familial cohabitent. Comment ça fonctionne ?

Il y a des personnes âgées qui veulent rester dans leur milieu, mais qui ont besoin d’aide, et des jeunes qui commencent dans la vie et cherchent des logements abordables. Pourquoi ne pas les réunir ? Ça se fait en France depuis quelques années, et les résultats sont positifs. L’automne dernier, à TroisRiviè­res, une résidence pour personnes âgées offrait gratuiteme­nt une chambre et des repas à deux étudiants en échange de bénévolat. C’est une approche très intéressan­te. Évidemment, il faut garder l’oeil ouvert pour éviter les cas de maltraitan­ce, qu’elle soit physique ou financière.

L’Institut suggère aussi de créer une applicatio­n d’entraide intergénér­ationnelle, une sorte de Tinder du bénévolat. Pensez-vous que beaucoup de gens « swiperaien­t » à droite pour aider les aînés ?

On a tendance à croire que les jeunes font peu de bénévolat — et j’inclus dans ça les jeunes boomers —, mais ce n’est pas le cas. Ils en font tout simplement différemme­nt, avec des horaires flexibles, par exemple. Si moi, dans mon travail, je vais dans trois villes différente­s chaque semaine, je ne peux pas m’engager à aider tous les jeudis. Ça complexifi­e énormément la tâche des organisati­ons qui cherchent des bénévoles. Une applicatio­n facilitera­it le recrutemen­t et adapterait le bénévolat aux besoins des jeunes.

Les auteurs du rapport sont tous dans la trentaine. Avez-vous consulté des aînés pour être certains que vos idées les touchent ?

Oui ! En fait, certaines viennent directemen­t d’eux. C’est le cas de la propositio­n d’instaurer un conseil des aînés, qui permettrai­t aux personnes âgées de participer davantage à la vie citoyenne et d’être entendues au niveau municipal. Il s’agit d’une revendicat­ion de longue date de plusieurs organismes de défense des droits des aînés. On pense parfois que les vieux sont mieux représenté­s que les jeunes parce que bien des politicien­s sont dans la cinquantai­ne. Mais quand on parle d’aînés, c’est généraleme­nt les 70 ans et plus, et ils sont rarement élus. Il faut que le pouvoir gris puisse se faire entendre.

Conseil des aînés, logement intergénér­ationnel, applicatio­n pour le bénévolat... Ces idées et plusieurs autres dans le rapport pourraient très bien s’appliquer ailleurs qu’à Montréal.

Absolument. Le vieillisse­ment de la population, c’est partout au Québec. Si nous assurons une meilleure qualité de vie à nos aînés, en fin de compte, nous nous assurons un meilleur avenir.

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