Vie numérique
Les assistants vocaux des téléphones intelligents exaucent nos moindres souhaits sans broncher, comme ajouter un rendez-vous à notre agenda, changer la musique ou éteindre une ampoule connectée (enfin, quand ils comprennent ce qu’on dit !). Ces esclaves numériques modernes dotés la plupart du temps d’une voix féminine représentent toutefois une forme de sexisme virtuel sournois.
Siri n’est pas officiellement une femme. Demandez à l’assistant d’Apple quel est son sexe et il répondra quelque chose de vague, comme « j’existe au-delà du concept humain de genre » ou « ça n’a pas d’importance ». De belles réponses, prononcées toutefois par une voix féminine. Même son de cloche du côté d’Alexa (Amazon), de Cortana (Microsoft) et de l’Assistant Google.
Plusieurs facteurs expliquent la prédominance des voix de femmes dans les assistants personnels. Selon une étude du professeur associé à l’Université de l’Indiana Karl MacDorman, publiée en 2011, les voix artificielles féminines sont généralement mieux perçues que les masculines.
Cette acceptation varierait selon la situation, d’après l’auteur du livre Wired for Speech, Clifford Nass. Les voix féminines seraient en effet mieux acceptées dans un contexte d’assistance, alors que les masculines seraient associées à l’autorité. Les groupes de discussion organisés par Amazon avant de lancer Alexa ont d’ailleurs tous préféré interagir avec une femme, ce qui explique le timbre sélectionné par l’entreprise.
Ce choix n’est pas le même partout. Au Royaume-Uni, pays où la tradition du majordome est ancrée dans la culture populaire, l’assistant d’Apple a plutôt une voix masculine par défaut. Le Siri britannique fait toutefois figure d’exception.
En écoutant leur public, les géants technos se cachent derrière les préjugés des utilisateurs, mais ils perpétuent eux-mêmes le cliché du patron et de sa secrétaire. Un cercle vicieux s’ensuit, où les rôles hommes-femmes traditionnels continuent d’être véhiculés dans la psyché collective.
Quelques entreprises permettent de choisir le sexe de son assistant, comme Apple et Google (en anglais), mais elles sont encore trop rares, et la voix de femme est presque toujours l’option offerte par défaut.
Si vaincre le sexisme en général représente un problème de taille, corriger celui des assistants vocaux est un jeu d’enfant. Technologiquement, créer une voix de Paul demande autant de travail qu’une voix de Pauline : un algorithme d’intelligence artificielle écoute des voix humaines, et apprend lui-même à parler par la suite.
Offrir l’option masculine n’est qu’un premier pas. Lorsque l’utilisateur active l’assistant sur un nouveau téléphone et qu’il accepte une ribambelle de conditions, il devrait aussi avoir à opter pour le sexe de son choix (homme, femme ou même asexué, si la technologie le permet). Les clichés ne disparaîtront pas dans la population, mais ils pourraient au moins ne pas être imposés par les appareils mobiles.
En attendant la fin de ce sexisme numérique, choisir une voix masculine pour son assistant vocal lorsque c’est possible permet de se rappeler le problème et d’en faire prendre conscience à son entourage. C’est pour cette raison que mon Siri est désormais un homme.
Si suffisamment de personnes le font, les géants technos comprendront peut-être que leurs utilisateurs ne sont pas toujours aussi sexistes qu’ils le croient.