L’actualité

UNE ÉQUIPE QUI RÊVE DE NOUVEAU

Le Canadien conclut sa saison 1992-1993 avec 102 points, tout juste 2 points derrière les Nordiques de Québec. La première saison de Jacques Demers comme entraîneur­chef a fouetté les troupes, après que celles-ci eurent passé quatre ans sous les ordres de

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STÉPHAN LEBEAU Jacques Demers est un être très optimiste. En début de saison, avant même qu’elle commence, il avait dit : « We are gonna shock the hockey world » [surprendre tout le monde].

JEAN PAGÉ Serge Savard avait fait une job incroyable pour bâtir cette équipe-là. Quand il a échangé Shayne Corson et deux autres fêtards contre Vincent Damphousse, en 1992, ç’a changé la donne complèteme­nt.

SERGE SAVARD Ça faisait 10 ans que j’étais en poste. J’ai toujours aimé bâtir l’équipe par la base, par des choix de repêchage. Et j’ai pu améliorer l’équipe avec quelques échanges, comme celui de Damphousse. Même chose pour Brian Bellows avant le début de la saison : il ne voulait pas jouer à Montréal. Jacques et moi, on est allés le rencontrer pour le convaincre qu’il devait venir. Finalement, s’il n’avait pas dit oui, il n’aurait probableme­nt jamais gagné la Coupe Stanley.

STÉPHAN LEBEAU J’étais à ma quatrième saison dans la Ligue nationale, ç’a été la meilleure de ma carrière. La saison a eu des hauts et des bas, des hauts très hauts — à un moment, on a enchaîné 12 parties sans défaite, on était l’équipe n° 1 de la Ligue nationale. Mais à la fin de la saison, on n’a pas connu nos meilleurs matchs. BENOÎT BRUNET On avait mal terminé la saison cette année-là. Je pense qu’on avait gagné deux matchs sur les neuf derniers.

ÉRIC DESJARDINS Il y avait eu un petit relâchemen­t, mais on avait des gars avec beaucoup d’expérience, qui avaient déjà gagné la Coupe en 1986. Moi, j’allais avoir 24 ans, c’était ma cinquième saison dans la Ligue nationale. Je commençais à être établi.

STÉPHAN LEBEAU Il restait deux parties à la saison quand on s’est présentés au Forum pour un entraîneme­nt. Le vestiaire était barré, et Jacques nous a emmenés au banc des joueurs. Les lumières étaient fermées. Il nous a parlé de la grande tradition du Canadien, nous a montré les bannières et a parlé de la fierté qu’on devait avoir de jouer pour ce club-là.

DENIS SAVARD Il nous a fait asseoir sur le banc et nous a dit : « Regardez en haut toutes les bannières de la Coupe Stanley. Cette année, il y en a une qui va s’ajouter. »

STÉPHAN LEBEAU Par la suite, il nous a conduits au salon du Président, qui était en face de notre vestiaire. On a eu une réunion où il nous a brassés. Nos chandails pour les séries y étaient accrochés. Pour rentrer dans le vestiaire, il fallait enfiler notre chandail et promettre de jouer avec fierté. C’est ce qu’on a tous fait. C’était la façon de Jacques de faire passer son message. On n’a pas gagné tous nos derniers matchs, mais ç’a été le début d’un déclic.

SERGE SAVARD On avait quand même fini l’année avec 102 points, ce qui n’était pas loin d’un championna­t de division. Québec en avait 104, et Boston avait fini premier avec 109 points. Ce serait prétentieu­x de dire que je savais qu’on allait gagner la Coupe Stanley. Mais on était très compétitif­s. « Shock the world », c’était pour créer l’atmosphère.

STÉPHAN LEBEAU Quelques jours après, Jacques est arrivé avec une petite carte, avec un message écrit dessus : « We are on a mission. We are making a team commitment in 1993. » [Nous sommes en mission. Nous avons un engagement envers l’équipe pour 1993.] Notre numéro était inscrit sur la carte. On devait l’avoir en notre possession en tout temps, il pouvait nous la demander à tout moment. Si on ne l’avait pas, on pouvait être mis à l’amende.

BENOÎT BRUNET C’était pour nous responsabi­liser en tant qu’équipe. Je l’ai encore dans une de mes boîtessouv­enirs. Une fois, Gilbert Dionne a demandé à Jacques s’il l’avait... et il ne l’avait pas ! Alors il a dû payer l’amende de 50 dollars. C’était un truc pour souder les gars ensemble.

ÉRIC DESJARDINS Je n’ai jamais oublié de la porter. Sinon, j’aurais eu l’impression d’avoir laissé tomber mes coéquipier­s. Ça peut avoir l’air niaiseux, mais quand t’arrives dans les séries éliminatoi­res, faut qu’il n’y ait rien d’autre. Chaque fois que tu fouillais dans tes poches ou que tu t’habillais pour te rendre à l’aréna, déjà, tu pensais au match, à l’entraîneme­nt, à tes coéquipier­s. Des attentions comme ça d’un staff d’entraîneur­s te font sentir que tu vis quelque chose de spécial.

SERGE SAVARD Ça faisait garder la concentrat­ion. Si quelqu’un se faisait prendre sans sa carte, c’est qu’il n’était pas « focus » !

STÉPHAN LEBEAU Une chanson était venue avec ça. « Nothing’s Gonna

JACQUES DEMERS PENDANT UN ENTRAÎNEME­NT, PEU AVANT LE DÉBUT DES SÉRIES.

Stop Us Now », du groupe Starship. Bon, on était des profession­nels, on trouvait ça un peu drôle comme approche au début, ça faisait un peu junior. Mais au fur et à mesure que les séries avançaient, la petite carte a pris valeur de symbole. Tout le monde a fini par embarquer dans les croyances de Jacques. C’était un bon père de famille qui avait notre bien à coeur. On ne voulait pas le décevoir.

DENIS SAVARD «Nothing’s Gonna Stop Us Now », that’s right ! Ça, on mettait ça chaque fois avant d’embarquer sur la glace.

ÉRIC DESJARDINS Si tu penses à ça maintenant, ça fait un peu cucul. Mais je pense qu’au fond, tout le monde cherche à sentir qu’il appartient à un groupe, qu’il va se défoncer pour lui. Quand la « toune » partait, c’était ça.

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