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LA RIVALITÉ MONTRÉAL-QUÉBEC REPREND

À Québec, les Nordiques ont faim : ils accèdent aux séries après cinq ans de disette. L’équipe est jeune, talentueus­e, les joueurs obtenus lors de l’échange d’Eric Lindros commencent à fournir leur plein potentiel sous la férule de Pierre Pagé, le directe

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ÉRIC DESJARDINS C’était différent à l’époque : tu jouais les deux premières séries contre ta division. Alors on connaissai­t très bien les autres équipes. On savait qu’en affrontant les Nordiques, il y aurait beaucoup d’émotion. Surtout qu’on avait beaucoup de Québécois dans l’équipe.

DENIS SAVARD Les Nordiques avaient eu toute une saison, c’était vraiment l’équipe favorite pour gagner la Coupe cette annéelà, ils avaient le vent dans les voiles.

STÉPHAN LEBEAU Ils étaient favoris contre nous. Ils avaient fini seulement deux points devant nous, mais ils étaient considérés comme une meilleure machine offensive.

SERGE SAVARD Bon nombre ne souhaitaie­nt pas qu’on rencontre Québec, mais notre devise, c’était : on ne choisit pas nos adversaire­s. On les prend comme ça vient. PIERRE PAGÉ À Québec, on avait bâti l’équipe en deux ans. La troisième année, on était prêts à gagner. Ç’a été la meilleure saison de Mats Sundin dans la LNH, la meilleure de Steve Duchesne, de Mike Ricci, d’Owen Nolan et d’Andrei Kovalenko. On aurait pu gagner la Coupe. Sauf qu’il aurait fallu que je fasse un ou deux échanges avant la fin de la saison, et je ne les ai pas faits. C’est ça qui aurait changé les choses.

ÉRIC DESJARDINS La rivalité, on la ressentait. Il y avait des chicanes de famille chez les fans, parce que certains prenaient pour les Nordiques et d’autres pour les Canadiens.

BENOÎT BRUNET C’est sûr qu’il y avait une pression additionne­lle sur les deux clubs en raison de la rivalité. Mais d’un autre côté, jouer contre les Nordiques était un beau défi : tout le monde voulait voir cette sérielà. On était prêts mentalemen­t. Je ne suis pas convaincu qu’au niveau du jeu on était prêts à 100 %. Mais le fait d’affronter les Nordiques, ça nous donnait un petit boost.

STÉPHAN LEBEAU La rivalité, c’était une question de vie ou de mort, être des héros ou des zéros. Je pense que si on avait gagné seulement huit matchs dans la saison, mais tous contre les Nordiques, on aurait été pardonnés pour toutes les autres défaites ! Alors, imagine en séries, ça montait d’un cran. C’était des matchs qui m’allumaient.

BENOÎT BRUNET Durant le premier match, on a assez bien joué, et je pense qu’on a eu les meilleures chances en prolongati­on. On aurait dû gagner ce matchlà.

SERGE SAVARD C’est en raison d’une très mauvaise punition de Gilbert Dionne dans la zone adverse, derrière le but, en fin de troisième. On était en avance, mais ç’a donné un jeu de puissance à Québec. Ils ont égalisé, puis ils ont gagné en supplément­aire. On s’en allait vers une victoire et on l’a perdue.

STÉPHAN LEBEAU Je me souviens, c’est Scott Young qui a marqué le but en prolongati­on.

BENOÎT BRUNET Pour ce qui est de la confiance, ça ne nous a pas mis à terre, mais ça nous a fait mal. Et le deuxième match a été plus difficile, on a perdu 41. Dans le vestiaire, tu pouvais entendre une mouche voler.

JEAN PAGÉ 20 pour les Nordiques. C’était incroyable. Et pourtant, avant le deuxième match, Jacques Demers était allé à SainteAnne­deBeaupré prier pour la victoire dans la série. DENIS SAVARD Ils nous ont battus dans les deux premiers matchs avec beaucoup de conviction.

SERGE SAVARD Même si on avait perdu les deux premiers matchs, j’étais encore convaincu qu’on gagnerait. J’ai rencontré le club à Québec après le deuxième match et ç’a été une réunion très positive.

BENOÎT BRUNET Daniel Bouchard, l’entraîneur des gardiens chez les Nordiques,

avait déclaré le lendemain du deuxième match : on a trouvé la faille de Patrick Roy. Ça, c’était pas une bonne idée.

ÉRIC DESJARDINS C’était sous-estimer Patrick Roy que de faire une telle déclaratio­n ! Si tu lui envoies une critique comme ça, il va l’utiliser pour se motiver. C’est un athlète comme ça. Bouchard l’a peut-être réveillé en disant ça.

JEAN PAGÉ On m’a raconté que Patrick Roy, le gars de Québec, a dit : « Ça suffit ! On va gagner. Mettez-en une dedans et je vais toutes les arrêter. Inquiétez-vous pas, ça rentrera plus, mais mettez-en une dedans. »

BENOÎT BRUNET On avait quand même une équipe assez jeune, avec Stéphan Lebeau, Patrice Brisebois, Kevin Haller, Paul DiPietro et moi. On était stressés. Mais les leaders qui avaient plus d’expérience ont réussi à nous calmer et à nous redonner confiance.

STÉPHAN LEBEAU Quand on est revenus pour le premier match à Montréal, j’ai pris un taxi avec Vincent Damphousse. Le chauffeur de taxi haïtien nous avait dit : « Vous êtes mieux de pas perdre, parce que ça va mal aller ! » Perdre une série, c’est une chose, mais contre les Nordiques, ç’aurait été inacceptab­le.

BENOÎT BRUNET Jacques était un entraîneur extrêmemen­t positif. Il y avait un changement de culture par rapport à Pat Burns, qui était un peu plus bourru. Jacques, c’était beaucoup plus l’approche familiale, positive. Mais il ne passait pas par quatre chemins pour autant s’il avait quelque chose à nous dire. Je me souviens qu’au troisième match, avant qu’on saute sur la glace au Forum, il ne s’était pas gêné pour nous faire savoir qu’on avait intérêt à être prêts.

ÉRIC DESJARDINS Je me souviens surtout que ç’aurait pu aller d’un bord comme de l’autre. Ç’a été la série la plus difficile cette année-là.

BENOÎT BRUNET Au troisième match, le gardien Ron Hextall a paniqué parce que Mario Roberge s’était installé sur le point de mise en jeu au centre de la glace pendant la période d’échauffeme­nt. Et lui avait l’habitude d’aller toucher au point rouge. À partir de ce moment, tout a semblé les déranger. Nous, c’est le contraire : au lieu d’être dérangés, on s’est soudés. DENIS SAVARD Notre troisième match, on l’a gagné à Montréal en prolongati­on, 2-1.

STÉPHAN LEBEAU J’ai marqué un but en prolongati­on, mais il a été refusé parce que j’avais touché la rondelle avec le bâton trop haut. C’est Vincent Damphousse qui a marqué le but par la suite.

PIERRE PAGÉ Je me rappelle qu’on menait la série 2-0, mais ce match-là, je ne m’en souviens plus. J’ai essayé d’oublier bien des choses de cette année-là, parce qu’on aurait dû gagner. On avait une meilleure équipe, nos jeunes avaient beaucoup d’énergie. On aurait dû, mais... C’est pour ça qu’on dit toujours: si la meilleure équipe gagnait tout le temps, on n’aurait pas besoin de jouer !

BENOÎT BRUNET C’est sûr que le stress restait : si on perdait le quatrième match, ce serait 3-1, on s’en retournera­it à Québec et la série pourrait se terminer. Il y avait donc une pression. Finalement, on a bien géré ça. Pis l’autre chose qui avait changé, c’est notre gardien de but. Je me souviens d’un arrêt dans le match 3 ou 4 sur un tir de Scott Young, qui avait fait le tour du filet. Patrick a sorti sa jambière droite pour l’arrêter. Il a été exceptionn­el. Il y a des arrêts clés qui ont fait qu’on a repris confiance en nos moyens.

STÉPHAN LEBEAU On a bien joué nos deux premiers matchs à domicile pour égaliser la série. Pendant qu’on mettait un doute dans la tête des Nordiques, notre confiance a commencé à grandir.

BENOÎT BRUNET Après le quatrième match, on savait qu’on s’était replacés. Avec le recul, du côté de Québec, je crois que plutôt que de se raccrocher à quelque chose, ils ont craqué.

DENIS SAVARD Le match 5 à Québec, on a gagné 5-4. C’est là que Patrick a reçu un lancer sur une épaule. Il n’était plus capable de bouger son épaule, il a

ANDREI KOVALENKO, DES NORDIQUES, TENTE DE RETENIR GILBERT DIONNE LORS D’UN MATCH AU FORUM.

fallu qu’il quitte le match. C’est André Racicot qui est venu devant le filet. Puis, au milieu de la deuxième période, Patrick est revenu.

SERGE SAVARD Notre équipe s’est regroupée. Et les joueurs ne doutaient pas de notre victoire.

JEAN PAGÉ J’oublierai jamais Pierre Pagé qui engueule Mats Sundin à la fin du sixième match. Moi, j’ai jamais revu une engueulade comme ça sur un banc des joueurs. Jamais. Ç’a probableme­nt été un tournant. Et ç’a nui à sa carrière.

PIERRE PAGÉ À un moment donné, tout allait bien, pis bim ! il a moins bien joué défensivem­ent. Je me suis fâché au mauvais moment. C’est une erreur que j’ai faite, c’est sûr. J’aimais tellement Mats Sundin, j’aurais pas dû faire ça. J’ai fait quelque chose que j’ai regretté. J’ai appris de ça.

SERGE SAVARD C’est jamais bon quand un entraîneur fustige un joueur en public.

JEAN PAGÉ Pagé n’a jamais été très friendly. C’est un drôle de gars. La grande déception de sa vie, c’est cette défaite-là. S’il avait gagné, ç’aurait été complèteme­nt différent pour sa carrière. Ça se joue sur peu, des fois. Les joueurs du Canadien ont été polis et n’ont pas fêté trop fort, parce qu’ils savaient que pour Québec, c’était désastreux.

PIERRE PAGÉ Après la défaite, j’étais plus fâché qu’autre chose. On était meilleurs que Montréal cette année-là. Mais Patrick Roy, qui avait une moyenne de 3,20 en saison, était à 2,13 pendant les playoffs. C’est ça qui a changé la donne.

STÉPHAN LEBEAU Ç’a été une série éprouvante, mais enrichissa­nte en même temps. On a battu les Nordiques, mais vivre autant d’adversité nous a surtout fait grandir. Ç’aurait pu être un piège, on aurait pu se contenter de dire : on a battu nos rivaux, et s’en satisfaire. Mais au contraire, ça nous a préparés pour le reste des séries. Ç’a été un tremplin pour s’élever à un autre niveau.

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