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CONTRE GRETZKY ET LES KINGS

En finale, le Canadien s’apprête à affronter les Kings, qui sortent d’une éprouvante série contre les Maple Leafs. Le capitaine Wayne Gretzky veut ramener le trophée à Los Angeles, où les stars de Hollywood se prennent de passion pour leur équipe en élimi

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BARRY MELROSE J’étais un entraîneur recrue dans la LNH. Et j’arrivais en finale avec les meilleurs joueurs du monde dans mon équipe — Gretzky, Robitaille, Rob Blake, Jari Kurri, Marty McSorley. Tous des joueurs qui allaient devenir membres du Temple de la renommée. Kelly Hrudey était un gardien auquel je pouvais me fier. On savait qu’il fallait une excellente équipe pour nous battre.

ÉRIC DESJARDINS T’as Patrick Roy dans ton équipe, tu crois en tes chances de gagner. Mais quand t’as Wayne Gretzky dans ton équipe en finale, tu crois aussi en tes chances de gagner.

STÉPHAN LEBEAU Wayne Gretzky était mon idole de jeunesse. Je jouais dans la rue, j’étais Gretzky. Sur la patinoire extérieure, j’étais Gretzky. Mon chat à la maison s’appelait Wayne, pis ma chatte s’appelait Janet ! Il a fallu que je les renomme… Savi et Mona [en l’honneur de Denis Savard et de sa femme] !

BENOÎT BRUNET Jacques n’avait pas eu d’autre choix que de nous donner quelques jours de congé avant la finale. Il faisait tellement beau qu’on est allés jouer au golf et passer le temps un peu, avant de s’entraîner. BARRY MELROSE Après avoir battu Toronto, on affrontait immédiatem­ent Montréal. Il n’y avait pas de pause pour nous. On avait battu Calgary, Vancouver, Toronto, uniquement des équipes canadienne­s. On allait affronter le Canadien de Montréal, il n’y avait rien de plus parfait.

STÉPHAN LEBEAU Ils nous battent 4-1 au premier match à la maison. Un but, trois passes pour Wayne Gretzky.

ÉRIC DESJARDINS On n’avait pas connu de vrai mauvais match jusqu’à celui-là. Tandis qu’on arrivait d’un repos, eux étaient encore sur l’adrénaline. On n’a jamais été capables de décoder ce match-là.

DENIS SAVARD C’est sûr que les Kings venaient de vivre une série assez difficile, très physique, contre les Leafs. Eux étaient encore sur leur élan, alors que nous, en éliminant les Islanders en cinq matchs, on a eu cinq ou six jours de repos.

BARRY MELROSE On a repris là où on avait laissé, une bonne défensive, on n’a pas accordé beaucoup de lancers à Montréal. Je crois que même les fans les plus fidèles du Canadien reconnaîtr­ont qu’on était la meilleure équipe lors du premier match.

JEAN PAGÉ Les joueurs ont péché par excès de confiance au premier match. La job de l’entraîneur, c’était de les ramener sur terre.

DENIS SAVARD À la fin de la série contre les Islanders, je m’étais jeté à terre pour bloquer un tir, et la rondelle avait frappé le côté droit de mon pied. Ç’avait fait mal sur le coup, mais j’avais continué à jouer. Sauf qu’après le premier match contre les Kings, mon pied a enflé au point que je n’étais pas capable d’enfiler mon patin. Je n’ai pas pu continuer à jouer.

BARRY MELROSE Pendant les séries, les matchs sont tous les deux jours, tout le monde est exténué. Mais tu fais avec. Tu seras fatigué, tu seras blessé, et c’est l’équipe qui a le plus d’endurance qui a les meilleures chances de l’emporter. Une fois que tu possèdes la rondelle, tu es dans un autre état d’esprit. JEAN PAGÉ Les Kings avaient un motivateur, Anthony Robbins. Nous, on trouvait ça drôle, parce que des motivateur­s, on en a vu dans notre vie. Mais c’était l’un des premiers qui entraient dans le vestiaire des Kings. Il allait parler aux joueurs avant qu’on puisse entrer. Il avait l’air tellement important. Ç’a marché jusque-là. Tandis que le motivateur chez le Canadien, c’était Jacques.

STÉPHAN LEBEAU Après le premier match, on a eu un meeting, où Patrick Roy nous a remis une autre petite carte : « Le “vrai winner” ne s’attache pas tant aux succès qu’à la GRANDE, à l’ULTIME VICTOIRE. Le reste n’est que prétention temporaire. P.R. » Ça voulait dire qu’on n’allait pas se contenter de parader en finale. Si on voulait la gagner, il fallait se donner à fond.

DENIS SAVARD Je voyageais avec Patrick Roy durant toutes les séries. C’était la première finale de ma carrière, j’avais connu cinq demi-finales. Il m’a dit dans l’auto, confiant : « On va gagner la Coupe. Tu vas avoir ta bague pis ton nom dessus. » Ce sont des paroles dont je me souviendra­i toujours.

STÉPHAN LEBEAU Patrick, en 1993, il a parlé beaucoup plus par ses performanc­es que dans le vestiaire. On avait la chance d’avoir un vestiaire très « mature », avec beaucoup de leaders et de joueurs de qualité. C’était un club qui avançait de lui-même. Patrick n’était pas un joueur comme un autre, mais il ne prenait pas plus de place qu’un autre dans le vestiaire. Il arrêtait les rondelles.

BARRY MELROSE Je savais que c’était par Roy qu’ils pourraient gagner. Je crois que notre équipe était meilleure que Montréal, que notre formation était supérieure. Mais le facteur décisif au hockey, c’est le gardien. Je connaissai­s Patrick, je sentais qu’il serait le meilleur gardien de la série. Et je savais que c’était lui qu’il fallait battre.

BENOÎT BRUNET Patrick, c’était notre roc. C’est lui qui apportait une stabilité. Il était tellement solide et confiant que

ça donnait confiance à tout le monde dans le vestiaire pour aller chercher la victoire, marquer les buts pour gagner.

STÉPHAN LEBEAU Le deuxième match, on l’a fait basculer in extremis en notre faveur, avec le fameux bâton de Marty McSorley.

ÉRIC DESJARDINS On ne voulait pas aller à Los Angeles avec un retard de 0-2. Les Kings ont vite pris les devants, on a égalisé la partie, puis ils ont repris les devants. Jusqu’en fin de troisième.

BARRY MELROSE On dominait encore le match. On menait par un but, et ils ont demandé une pénalité pour bâton illégal vers la fin du match.

DENIS SAVARD On perdait 2-1 avec à peu près deux minutes à jouer dans le match. Jacques a demandé à l’officiel de mesurer le bâton de McSorley. Son bâton avait trop de courbe, il a écopé d’une punition.

BENOÎT BRUNET Dans ce temps-là, c’était la coutume : la majorité des gars avaient un bâton illégal ou deux dans le rack. En première période à Los Angeles, si on avait décidé de mesurer les bâtons, sur les 18 gars de chaque côté, il y en a peut-être 10 qui auraient eu des bâtons illégaux. Mais en fin de match, quand il restait une dizaine de minutes, dépendamme­nt du pointage, tu décidais si tu prenais le risque.

STÉPHAN LEBEAU Nous aussi, on avait des joueurs qui jouaient avec des bâtons illégaux. Mais rendus en séries, ils faisaient plus attention : ils traînaient toujours avec eux un bâton légal, au cas où, en fin de partie, l’équipe adverse oserait demander une pénalité. On était aussi attentifs aux bâtons de nos adversaire­s. Du côté de Los Angeles, Robitaille et McSorley, c’était évident qu’ils jouaient avec des bâtons trop courbés.

ÉRIC DESJARDINS Le règlement existait, on l’a utilisé, et ç’a tourné en notre faveur. Il y a une raison pour laquelle un joueur joue avec une courbe comme ça : c’est parce que ça l’avantage.

BENOÎT BRUNET Je ne savais pas qu’on allait défier la légalité de son bâton. C’était rare. On dirait qu’il y avait un code d’honneur de ne pas faire ça. Mais là, tu perds le premier match, comment tu t’en sors dans le deuxième ? C’est comme ça qu’on s’en est sortis.

SERGE SAVARD On savait qu’on le ferait, mais en temps opportun. Dans le sport, tu utilises tous les règlements à ton avantage. Si le règlement, c’est une courbe d’un demi-pouce et qu’un joueur a une courbe d’un pouce, c’est un avantage sur l’autre équipe. Pis c’est pas correct.

JEAN PAGÉ Le bâton de McSorley, je suis sûr que c’est grâce au préposé aux bâtons du Canadien qu’ils ont pu le savoir. Dans le vieux Forum, tu avais les deux bancs et le corridor. Et de chaque côté, les racks à bâtons de chaque équipe. Demers a contrevéri­fié avec Guy Carbonneau : regarde si c’est le même bâton ou si t’as un doute. Parce qu’il prenait un risque: si la courbe avait été légale, c’est lui qui écopait d’une pénalité pour avoir retardé le match ! Et Carbo lui a confirmé : oui, la courbe est illégale. O.K., pénalité.

BENOÎT BRUNET Nos gars étaient assez aguerris pour voir ça. Quand tu sautes sur la glace pour une mise en jeu, en regardant le bâton du gars, tu vois s’il est légal ou pas. Même si les Kings ont accusé le Canadien d’avoir fouillé dans leur rack pendant les pauses ou avant le match, on n’avait pas besoin de faire ça. Pierre Gervais [gérant de l’équipement], Carbo ou Kirk Muller voyaient les bâtons de près et savaient s’ils étaient légaux ou pas. McSorley, ça faisait longtemps aussi qu’il jouait dans la LNH.

DENIS SAVARD On a choisi le bon ! Pauvre Marty… ! [Rire]

BARRY MELROSE J’ignorais totalement que le bâton de Marty était illégal. Tu surveilles toujours quatre ou cinq joueurs dans ton équipe, parce que tu soupçonnes qu’ils peuvent avoir des bâtons illégaux. Comme entraîneur, c’est ma responsabi­lité de savoir ce qui se passe sur mon banc. Mais personnell­ement, je n’ai jamais signalé un bâton dans ma carrière. Je ne ferais pas ça, je ne crois pas que c’est comme ça qu’on doit gagner.

BENOÎT BRUNET Je peux t’assurer qu’il y a une couple de gars, y compris de notre côté, qui ont changé de bâton à ce moment-là ! [Rire]

ÉRIC DESJARDINS Après, dans la série, on s’est assurés que tous nos joueurs avaient des bâtons légaux. Sinon, c’était une question de temps avant que Melrose nous rende notre coup !

STÉPHAN LEBEAU Mais il fallait quand même marquer le but égalisateu­r. Et il me semble qu’on n’avait pas marqué dans nos 24 ou 25 derniers avantages numériques. C’était pas gagné d’avance, mais ce soir-là, Éric Desjardins avait décidé de se déguiser en Bobby Orr.

DENIS SAVARD On a retiré Patrick du filet, Desjardins a marqué pour égaliser 2-2, et il a compté le but en prolongati­on. Il a marqué nos trois buts du match ! Je n’oublierai jamais ça.

BARRY MELROSE Desjardins a tiré sur l’une des tiges de la baie vitrée. Kelly Hrudey croyait que la rondelle allait longer la bande, mais elle a bifurqué devant lui. Il ne savait pas où elle était. Desjardins l’a récupérée devant une cage béante. C’était un but chanceux, mais on a perdu. Et le bâton de McSorley a bien sûr eu un rôle à jouer là-dedans. S’il n’y avait pas eu cette pénalité, on aurait gagné le match et on aurait été en avance 2-0 à Los Angeles.

ÉRIC DESJARDINS C’est plus la répétition de mes efforts. Ce soir-là, j’ai envoyé je ne sais pas combien de rondelles au filet, mais là-dessus, il y en a trois qui ont trouvé le moyen de battre Kelly Hrudey. À part le dernier but, j’ai envoyé la rondelle au filet quand il y avait beaucoup de trafic. Je n’avais rien mangé de spécial ni tapé mon bâton d’une autre manière !

BENOÎT BRUNET Si les Kings étaient sortis de Montréal en menant 2-0, je ne suis pas convaincu qu’on aurait gagné deux matchs à Los Angeles.

BARRY MELROSE On avait toujours une chance de gagner. La série était 1-1 et on avait soutiré une victoire sur la route à Montréal en finale. On avait donc atteint notre objectif, puisqu’on revenait à la maison. J’avais encore bon espoir qu’on l’emporterai­t.

BENOÎT BRUNET Les deux autres matchs à Los Angeles, ç’a été des matchs serrés, durs à jouer à cause de la chaleur. On dormait à Marina Del Rey, devant la plage, on n’était pas habitués à ça. Là aussi, il y avait de la pression, parce qu’affronter les Kings devant leur foule, c’était difficile. ÉRIC DESJARDINS Au premier match à Los Angeles, ils présentaie­nt les joueurs des deux équipes. Je me suis fait huer par les fans des Kings. Ça m’a un peu intimidé, comme si j’avais fait quelque chose de mal. Mais il fallait que je remette les pieds sur terre, parce que marquer trois buts m’avait mis sur un high.

BENOÎT BRUNET John LeClair a été le héros de ces deux matchs-là, en marquant chaque fois en prolongati­on. Brian Bellows, sur un des buts au troisième ou quatrième match, a attiré tellement de gars autour de lui que LeClair a pu prendre la rondelle, faire le tour du filet et marquer.

BARRY MELROSE Trois victoires de suite en prolongati­on. C’est une statistiqu­e démente ! Si on regarde la série, et je l’ai fait souvent, on a dominé Montréal dans trois matchs sur cinq. Mais on a perdu ces trois matchs en prolongati­on contre le meilleur gardien de l’époque. Il faut reconnaîtr­e sa force, il a eu un rôle déterminan­t dans cette finale.

BENOÎT BRUNET Ç’avait été dur à Los Angeles. Mais une fois qu’on a gagné le quatrième match contre les Kings, c’est comme si on leur avait donné un coup de couteau.

JEAN PAGÉ On prenait l’avion avec l’équipe. Le coach et la direction assis dans la classe affaires, les journalist­es derrière, et les joueurs au fond de l’appareil. Sur le vol de retour de Los Angeles, c’était silencieux. Ils venaient de gagner, mais ils savaient que ce n’était pas terminé. Ils étaient en mission, c’est très différent de la saison officielle. De temps en temps, tu voyais passer un des assistants, il allait chercher un joueur et l’amenait en avant pour voir Jacques Demers, le « père de famille ».

SERGE SAVARD Je n’ai jamais pensé que c’était presque fait. J’ai toujours pensé au pire scénario : si jamais tu l’échappes à la maison, tu te retrouves à Los Angeles sur un terrain dangereux. Tu peux te faire jouer des tours ! Non, tu ne peux jamais décompress­er.

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 ??  ?? PATRICK ROY ARRÊTE UN TIR DE WAYNE GRETZKY SOUS L’OEIL D’ÉRIC DESJARDINS, AU GREAT WESTERN FORUM, À LOS ANGELES.
PATRICK ROY ARRÊTE UN TIR DE WAYNE GRETZKY SOUS L’OEIL D’ÉRIC DESJARDINS, AU GREAT WESTERN FORUM, À LOS ANGELES.
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STÉPHAN LEBEAU GUETTE UNE PASSE DE VINCENT DAMPHOUSSE DEVANT TIM WATTERS, DES KINGS DE LOS ANGELES.

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