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LA GRANDE VICTOIRE

En avance 3-1 dans la série, le Canadien revient à Montréal pour le match ultime. Le Forum est plein à craquer. Plus de 2,4 millions de Québécois regardent la diffusion de la rencontre à Radio-Canada. Et pour conclure des séries remarquabl­es où elle n’aur

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JEAN PAGÉ Au dernier match, lorsqu’on a tourné l’ouverture pour La soirée du hockey, la rue était fermée. J’étais au milieu de la rue Atwater, avec le Forum en arrière-plan. C’était silencieux, comme avant la guerre. Tout le monde marchait tranquille­ment, ils savaient que ça se réglerait ce soir-là. Les Canadiens menaient 3-1, et ils ne voulaient pas retourner à Los Angeles. Je pense que même les joueurs des Kings savaient que la Coupe leur échappait.

JONATHAN ROY Moi, je me rappelle avoir regardé la game avec mes deux grands-mères à la maison. Ce dont je me souviens, c’est qu’on allait sauter dans la piscine s’ils gagnaient.

STÉPHAN LEBEAU Tout le monde t’appelle, la famille, les amis, parce qu’ils veulent avoir des billets. Eux sont sûrs qu’on va gagner à Montréal pis que la série va se terminer. Mais comme joueur, c’est le contraire, on se met à stresser davantage. Si on l’échappe, qu’est-ce qui se passe ? On retourne à Los Angeles pour un match no 6. Tu commences à te faire plein de scénarios, qui t’empêchent de rester dans le moment présent.

ÉRIC DESJARDINS On ne voulait pas retourner là-bas. Il ne fallait pas laisser la moindre chance. À 3-1, la côte est à pic, mais c’était déjà arrivé. On ne voulait pas vivre ça en finale de la Coupe Stanley. BENOÎT BRUNET Denis Savard était blessé, et il n’avait pratiqueme­nt pas joué pendant la finale. Puisqu’il était un leader dans l’équipe, Jacques Demers lui a fait une place derrière le banc.

DENIS SAVARD J’aurais aimé revenir au jeu. J’aurais peut-être pu jouer la game 4, sûrement la game 5. Mais je me souviens de la conversati­on avec Jacques. Je lui ai dit : « Tu ne peux pas changer le line-up. Si on perd ce match-là, on s’en retourne à Los Angeles pour le match 6, puis si on le perd, on revient à Montréal pour un septième match, et je vais m’en vouloir d’avoir pensé juste à moi. » Mon idée, c’était de penser à l’équipe d’abord. Jacques m’a dit : « Viens-t’en en arrière du banc. »

BENOÎT BRUNET Quand on a sauté sur la glace, au début du dernier match au Forum, c’est comme si on ne pouvait pas le perdre. Que personne ne serait capable de nous battre au Forum. On a toujours été maîtres de ce match-là. C’était pas loin d’un match parfait, on n’a jamais senti qu’on était en mauvaise posture dans celui-là, comparativ­ement aux quatre premiers.

STÉPHAN LEBEAU Quand le match a débuté, on est tombés dans un état de grâce. DiPietro a marqué le premier but, Muller le deuxième. Moi, j’ai porté le score à 3-1 en milieu de deuxième. Puis, DiPietro a marqué le quatrième but. On sentait qu’on devenait invincible­s. Les 10 ou 12 dernières minutes, on savait que les Kings ne pouvaient plus revenir. Les coachs nous rappelaien­t quand même que ce n’était pas fini, et qu’on allait célébrer la victoire quand il n’y aurait plus de secondes au chrono.

BARRY MELROSE On n’était pas vraiment là. C’était un drôle de match. Mais on a eu notre chance à plusieurs reprises pendant la série et on n’a pas réussi à la saisir.

STÉPHAN LEBEAU La dernière minute, c’est l’euphorie. Des émotions tellement fortes que c’est une forme d’orgasme difficile à expliquer. Tu partages ça avec tes coéquipier­s, et avec la famille, parce que c’était à Montréal.

ÉRIC DESJARDINS Quand on saute tous sur la glace, les gants et les bâtons dans les airs, qu’on sait que c’est fini, qu’on peut tout laisser aller parce qu’on est les champions, ces imageslà me donnent encore des frissons. Ça résume vraiment le feeling d’être champions.

BENOÎT BRUNET Le moment sur la glace, je l’ai encore en tête. Pour moi, le p’tit cul de Sainte-Anne-de-Bellevue qui a regardé jouer Guy Lafleur, Jacques Lemaire, Larry Robinson et Serge Savard, vivre ça, au Forum en plus, c’est très spécial.

STÉPHAN LEBEAU Ça va très vite. La coupe Stanley passe de bras en bras, et on ne sait jamais combien de temps les gars vont la garder entre leurs mains. Mais je me suis synchronis­é pour prendre la coupe juste devant les sièges où ma famille était assise. Je ne les voyais pas, il y avait trop de monde debout. Mais je savais qu’ils étaient là et que je la brandissai­s devant eux.

ÉRIC DESJARDINS Tu sais que tu vas y toucher, voir combien elle pèse. Tu ne veux pas t’enfarger non plus ! Oui, tu penses même à ça. Il n’y a pas d’autre feeling comme ça en matière d’événement sportif. Je dis souvent que je n’ai jamais rêvé de marquer trois buts en finale de la Coupe Stanley, mais que j’ai rêvé bien des fois

de la gagner ! C’est tellement gratifiant que d’avoir marqué trois buts, c’est juste un détail.

BENOÎT BRUNET Tes parents, frères, soeurs, blonde sont dans les gradins. De te promener avec la coupe sur la glace, c’est incroyable.

JEAN PAGÉ Je me souviens de Patrick Roy qui criait : « I’m going to Disneyland ! » avec la coupe à bout de bras. C’était pour une publicité, finalement !

JONATHAN ROY Oui, je peux confirmer qu’on est allés à Disneyland ! [Rire]

STÉPHAN LEBEAU En même temps, j’avais de la difficulté à le croire, parce que cette coupe Stanley là, c’était la 100e fois que je la gagnais dans mes rêves, dans la rue, dans mon sous-sol ou sur les patinoires extérieure­s. Et tout d’un coup, c’est la vraie que tu as dans les mains. C’est difficile à décrire.

ÉRIC DESJARDINS Sur la glace avec les fans, c’était pas assez long ! J’aurais préféré qu’on reste là jusqu’à ce que les gradins se vident !

SERGE SAVARD Pour Jacques Demers, c’est le highlight de sa carrière. J’ai gagné deux Coupes Stanley, et les deux fois, c’était avec des entraîneur­s recrues. Tu vas toujours chercher le meilleur d’un entraîneur à ses débuts.

BARRY MELROSE J’avais joué pour Jacques dans la WHA [World Hockey Associatio­n] à Cincinnati. On était de grands amis, on l’est toujours. Après le match, il m’a simplement félicité pour la façon dont mon équipe avait joué. On s’est serré la main, il est allé fêter de son côté, et je suis allé les regarder du mien. Au début, tu es démoli. Mais un entraîneur ne peut pas juste retourner dans son bureau et boire de la bière. Il doit parler aux joueurs et aux médias, être pertinent et avoir un message. Mais c’est dur. Il y a un adage en sport qui dit que la défaite fait plus mal que la victoire fait du bien. Et c’est tellement vrai quand tu perds en finale de la Coupe Stanley.

JEAN PAGÉ Jacques a rendu un grand hommage à Denis Savard en l’emmenant derrière le banc avec lui. Je suis certain que Denis Savard en sera éternellem­ent reconnaiss­ant à Jacques Demers. C’était un beau moment aussi. DENIS SAVARD Ç’a été un rôle différent de ce à quoi j’étais habitué. La Coupe Stanley, c’est sûr que c’est l’fun d’être en uniforme quand tu la gagnes. Mais l’aventure va de septembre jusqu’à juin. Que tu aies joué 20 minutes, 20 matchs ou 80 matchs, tu as aidé.

BENOÎT BRUNET Il n’avait pas eu la chance de la gagner avec les Blackhawks de Chicago auparavant. Il était très apprécié des joueurs. Serge Savard s’était fait critiquer pour avoir échangé Chris Chelios contre Denis. Mais Denis nous a aidés à la gagner, la Coupe.

DENIS SAVARD On est rentrés dans le vestiaire, la famille est venue, on a pris des photos avec nos proches. Mon agent, Pierre Lacroix, était là, même Céline Dion et René Angélil y étaient. Je me rappelle qu’on a fait boire un peu de champagne à Céline. Mais pas à René, lui, il ne buvait pas !

BENOÎT BRUNET Le vestiaire du Forum était tout petit. Il y avait plein de monde, les médias pour les entrevues, des personnali­tés aussi. Il faisait chaud.

STÉPHAN LEBEAU On a pris les photos avec nos familles. Et à un certain moment,

quelqu’un, je pense que c’est Guy, a dit : « O.K., prenons un moment entre nous. » Avec le champagne dans la coupe, les photos et les accolades, pour décanter tout ça. Pour réaliser qu’on l’avait gagnée pour vrai, ensemble.

BENOÎT BRUNET C’est probableme­nt l’un des plus beaux moments de la conquête : on avait de la place, on a pris des photos avec la coupe. On était l’équipe. Après, on a fait entrer les familles. Ç’a été le party. Sur le coup, tu te dis : on va en gagner trois autres, quatre autres. Avec le recul, en avoir gagné une seule au Forum, tu te rends compte que c’est une chance inouïe.

STÉPHAN LEBEAU À l’époque, le Canadien ne gagnait plus la Coupe tous les deux ou trois ans comme dans les années 1960-1970. Mais on était toujours dans une culture où gagner la Coupe était l’unique objectif. Faire les séries, c’était un acquis. Je n’aurais jamais cru que le Canadien ne gagnerait pas la Coupe en 25 ans. Qu’il ne passerait même pas proche, qu’il ne serait plus jamais une équipe aspirante à la gagner. Nous, on surfe sur cette vague-là depuis 25 ans, mais ce n’est pas ce qu’on souhaitait pour le Canadien.

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LE GARDIEN PATRICK ROY SERA DÉSIGNÉ JOUEUR PAR EXCELLENCE DES SÉRIES.

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