L’actualité

Économie

- PAR PIERRE FORTIN

On ne va pas seulement à l’école pour se conformer aux besoins des employeurs et s’enrichir, mais d’abord pour devenir des êtres humains libres et décents, des parents responsabl­es et des citoyens engagés. Néanmoins, on ne peut négliger le fait que l’éducation a une grande valeur économique. Les compétence­s générales et spécialisé­es que l’éducation produit sont un facteur déterminan­t du revenu des gens : plus on est scolarisé, moins on chôme et mieux on est rémunéré.

Le tableau ci-contre, tiré du Recensemen­t du Canada de 2016, illustre bien le lien étroit entre éducation et revenu. On y observe qu’en 2015, au Québec, la personne sans diplôme a gagné en moyenne 37 600 dollars. Le revenu d’emploi a ensuite été de plus en plus élevé à mesure que la scolarité acquise était plus avancée. Tout en haut, le revenu associé à un diplôme universita­ire de baccalauré­at ou de niveau supérieur a atteint 78 800 dollars. Ainsi, le diplômé universita­ire a gagné deux fois plus que la personne privée de diplôme.

La glorificat­ion médiatique niaise du succès d’une petite minorité qui n’a aucun diplôme, mais qui réussit quand même, le plus souvent en raison d’un talent exceptionn­el ou d’un hasard favorable, cache malheureus­ement l’éléphant dans la pièce, à savoir l’insuccès de l’immense majorité des sans-diplômes qui ne jouissent pas d’un tel avantage. (Mais les temps changent peut-être. Il fait bon de voir des personnali­tés populaires comme Céline Dion, Georges St-Pierre, Patrice Bernier et Joé Juneau faire campagne en faveur de la persévéran­ce scolaire.)

On entend parfois dire que l’enseigneme­nt supérieur produit « trop » de diplômés. Les données du recensemen­t montrent que cette opinion est complèteme­nt erronée. Le tableau rapporte qu’en moyenne, en 2015, un diplôme collégial ou universita­ire a procuré à son titulaire québécois un salaire annuel de 68 500 dollars. C’est 53 % de plus que le salaire moyen de 44 600 dollars qu’a gagné le travailleu­r qui avait tout au plus un diplôme secondaire ou profession­nel. Ce simple écart confirme que la rentabilit­é individuel­le et collective de l’enseigneme­nt supérieur continue d’être au rendez-vous et que l’argent qu’on y investit est toujours pleinement justifié.

Le vrai problème est l’exact opposé : le fossé entre les travailleu­rs qui possèdent un diplôme de l’enseigneme­nt supérieur et ceux qui n’en ont pas s’est

considérab­lement élargi depuis 40 ans. En 1980, au Canada, l’avantage salarial dont jouissait le diplômé collégial ou universita­ire relativeme­nt au travailleu­r qui avait tout au plus un diplôme secondaire ou profession­nel était d’environ 35 %. Le fait que cet avantage atteignait 53 % au Québec en 2015 est révélateur de la forte détériorat­ion de la position des travailleu­rs moins scolarisés dans l’échelle des salaires avec le temps. Et l’ascension démesurée du revenu des superriche­s ne peut en expliquer qu’une toute petite part.

C’est l’économiste néerlandai­s Jan Tinbergen (Nobel 1969) qui a donné la clé d’interpréta­tion de cette évolution, commune à la plupart des pays avancés. Dans l’économie moderne, la trajectoir­e des salaires résulte en grande partie d’une course marathon entre l’éducation et la technologi­e. C’est l’offre contre la demande de savoir.

La demande de nouvelles compétence­s engendrée par l’évolution technologi­que est en croissance continuell­e. Si l’offre de ces compétence­s, alimentée par le système d’éducation, est incapable de suivre le rythme demandé par la technologi­e, la rareté qui en découle entraîne deux conséquenc­es. D’une part, la croissance économique est ralentie. D’autre part, le partage de la richesse devient plus inégal, parce que la pénurie fait augmenter les salaires des diplômés de l’enseigneme­nt supérieur plus vite que la moyenne. Ils tiennent, comme on dit, « le gros bout du bâton ».

Ce n’est plus seulement l’acquisitio­n d’un premier diplôme au plus jeune âge possible qui est nécessaire, mais aussi la persévéran­ce jusqu’à l’obtention d’un diplôme collégial ou universita­ire. Faire de cet objectif une priorité individuel­le et collective et prendre les moyens pour l’atteindre est essentiel si nous voulons qu’ici, chez nous, l’éducation gagne la course contre le progrès technologi­que dans laquelle elle est mondialeme­nt engagée.

Si nous prétendons à devenir une société riche, égalitaire et heureuse, il nous faudra d’abord et avant tout réussir le pari de l’éducation. Ainsi parlait Mgr Parent, l’auteur du fameux rapport sur l’éducation qui portait son nom.

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