La scène comme refuge
Au pays de Shakespeare, le théâtre est de plus en plus utilisé comme outil d’intégration pour les réfugiés. Rencontre avec une troupe de jeunes demandeurs d’asile qui fait sensation à Londres.
Au pays de Shakespeare, le théâtre est de plus en plus utilisé comme outil d’intégration pour les réfugiés. Rencontre avec une troupe de jeunes demandeurs d’asile qui fait sensation à Londres.
RRien ne les prédestinait à devenir les têtes d’affiche d’une pièce à succès à Londres. Aucun d’entre eux n’avait jamais foulé les planches, suivi le moindre cours d’art dramatique ni même mis les pieds dans un théâtre. Quand ils ont commencé à monter leur première pièce, il y aura bientôt trois ans, c’est à peine s’ils parlaient l’anglais. Leur arrivée au RoyaumeUni ne datait, pour certains, que de quelques semaines.
Depuis, la troupe d’une dizaine de garçons a créé deux spectacles, donné 40 représentations, fait salle comble à Londres, été remarquée au festival Fringe d’Édimbourg, accumulé les critiques élogieuses et attiré l’attention de directeurs de casting.
Autant dire qu’ils ont fait l’impossible. Venus de la Somalie, de l’Afghanistan, de l’Érythrée et de l’Albanie, tous sont arrivés au pays à l’adolescence, seuls, au bout d’un dangereux périple pour fuir la violence de leur terre natale. Sans famille et sans papiers, ils sont de ceux qu’on appelle, dans le jargon de la bureaucratie britannique, des « enfants non accompagnés demandant l’asile ».
En mettant en scène leurs propres expériences, ils ont donné un visage à la plus importante crise migratoire qu’ait connue l’Europe depuis la Deuxième Guerre mondiale. « Je suis arrivé au RoyaumeUni dans le fourgon d’une semiremorque, et aujourd’hui, je raconte mon histoire sur scène. Je n’arrive pas à y croire », dit Syed Najibi, l’un des acteurs d’origine afghane, aujourd’hui âgé de 19 ans. Je l’ai rencontré lors d’un récent passage à Londres, en compagnie d’autres membres de la troupe, le Théâtre Phosphoros.
Il leur a fallu tout apprendre en même temps : la langue, les moeurs du pays, comment naviguer dans le dédale du système d’immigration, comment passer à l’âge adulte dans une contrée où ils n’ont ni racines ni repères. C’est ce parcours tortueux, avec ses joies, ses gaffes et ses culsdesac, que révèlent la pièce Dear Home Office (cher ministère de l’Intérieur) et sa suite, Dear Home Office : Still Pending (cher ministère de l’Intérieur : toujours en attente).
Dans une des scènes, les garçons miment leur funeste traversée de la mer Méditerranée à bord d’une embarcation surpeuplée. Dans une autre, un ado ne connaissant pas l’existence des cabines d’essayage se met comiquement à se déshabiller au beau milieu d’un magasin. Dans une autre encore, un jeune subit l’interrogatoire des fonctionnaires du ministère de l’Intérieur, personnages aux masques blancs anonymes qui symbolisent toute la froideur et l’opacité de l’institution.
Le résultat est une oeuvre puissante bien que maladroite, qualifiée par The Guardian de « brute et inégale mais authentique et sentie », et décrite par l’hebdo culturel The Stage comme étant « réconfortante, instructive et pleine d’humour », « une évocation courageuse, brutale de la vie d’un enfant réfugié séparé de sa famille ».
L’idée de la pièce a germé dans un centre d’hébergement pour jeunes réfugiés de Harrow, un arrondissement du nord de Londres. Ce sont les garçons euxmêmes qui ont manifesté à leur intervenante, Kate Duffy, le désir de transmettre publiquement leur histoire. Celleci, déjà formée en théâtre communautaire, a alors recruté sa mère, Dawn Harrison, une scénariste de télé, comme dramaturge et metteure en scène.
Tous les vendredis soir, la troupe investissait le salon du logement semiautonome où plusieurs des garçons habitaient. Par des ateliers de jeu et des discussions — facilités à l’occasion par Google Translate —, Dawn Harrison a pu recueillir leurs témoignages et, peu à peu, tisser le fil du récit. Chaque passage de la pièce était soumis à l’approbation des acteurs, puis retravaillé, jusqu’à obtenir une version du texte qui soit fidèle à leur expérience. « Il a parfois fallu leur écrire les répliques de manière phonétique ou faire des pauses si un passage devenait trop bouleversant », dit Kate Duffy, qui joue également dans les spectacles. Le processus n’a pas été de tout repos, admet Dawn Harrison. « Au début, ils ne comprenaient pas ce qu’était une répétition. Ils pouvaient arriver trois heures en retard. Ils ont besoin de beaucoup de soutien. On met énormément de temps à les aider à régler les problèmes qui pourraient les empêcher de se présenter. »
Après huit mois de boulot, contre toute attente, la bande se produisait à guichets fermés dans de petites salles londoniennes.
Partout en Europe, des artistes créent des oeuvres de théâtre documentaire ou autobiographique qui donnent la parole aux réfugiés afin