La vieille politique est derrière nous
L’été 2018 a connu deux marqueurs du temps : la canicule et SLĀV. Ce second événement fut tout sauf anecdotique. C’est une bombe atomique qui est venue tester les contours du fameux « vivre-ensemble » politique. Et ce ne sera pas sans conséquence. Dans quelques semaines, les Québécois iront voter pour élire un nouveau gouvernement. Je prédis que ce seront les dernières élections de «l’ancien temps ». Et pas seulement parce que les sondages prévoient l’élection de la CAQ...
Dans les barbecues et épluchettes électoraux, on aura mollement causé économie, vétusté des CHSLD, éducation, nationalisme. C’était une dernière salve. À grande vitesse, les enjeux traditionnels tendent à être dépassés par de nouveaux thèmes polarisants, souvent amenés par des groupes aux opinions très campées qui profitent de la rectitude politique féroce qui s’installe.
Ces mouvances, perçues comme radicales par la majorité des gens, partent de louables intentions. Elles ont pour but de sensibiliser et d’ouvrir nos yeux et nos coeurs au sort des minorités, de réclamer plus de représentativité dans l’espace public. Mais rapidement, les plus extrémistes des diférentes causes confisquent la parole. Et devant l’odieux d’être taxés de racisme-sexisme-déviance, les institutions, particuliers et politiciens se taisent.
C’est donc avec fulgurance que cette pensée empruntée à la gauche universitaire états-unienne s’est installée ici. Les partis politiques regardent le mouvement progresser, hésitent, pratiquent soit un silence inconfortable, soit un opportunisme à courte vue, en adoptant des positions payantes auprès de clientèles hyper-ciblées. L’extrémisme idéologique finit par teinter l’air du temps, parce que nous n’avons plus, collectivement, les moyens moraux ni la force de faire rempart.
Revenons un instant sur la polémique suscitée par SLĀV, le spectacle hommage aux chants d’esclaves de Betty Bonifassi et Robert Lepage. Des militants «antiracistes» ont crié à l’appropriation culturelle sans avoir vu l’oeuvre, et refusé tout dialogue. Le Festival international de jazz de Montréal a lâchement décidé de suspendre les représentations. La censure a prévalu, alors qu’on avait une belle occasion d’entamer une discussion constructive. Qu’est-ce que l’appropriation culturelle ? Y a-t-il une communauté noire ? Qui parle en son nom ? L’identité culturelle est-elle réducti-
ble à la couleur de la peau ? Quelles sont les limites de l’art ? Comment être sensible à la nécessaire diversité ?
La culture n’a pas à se ghettoïser. C’est une voleuse qui puise à toutes les sources pour les transcender et nous libérer de nos contingences. Or, en cinq jours, l’affaire était close et entendue. Les créateurs étaient des racistes! Le silence des politiciens (hormis ceux du PQ) fut assourdissant. Ce qui venait de se jouer était pourtant politique à temps plein !
Nous assistons depuis quelque temps à une radicalisation politique des appartenances, qui tend à tous nous reléguer à des catégories, abolissant culture et histoire. Le discours politicien se vautre dans la religion du vivre-ensemble, alors qu’au même moment les diversitaires les plus radicaux atomisent la société. Les voix du bien commun sont extrêmement taiseuses...
La « convergence des luttes » fabrique de la radicalité. Son discours vient de quitter la marge et se dirige vers une certaine acceptabilité, tout en demeurant celui d’une minorité. Ivres de leur pouvoir tout neuf, les radicaux décident de ce qui est moral pour tous.
Plusieurs débats récents concernent l’appartenance culturelle, les safe spaces, le français inclusif, le végétalisme intégral. Les militants qui soutiennent ces causes nous sensibilisent à des questions essentielles. Ils changent notre regard.
Mais il y a un revers à cela. Ces questions périphériques occultent celles qui sont communes à tous les citoyens. L’insatisfaction guette, tout comme le spectre du populisme. Les politiciens traditionnels sont dépassés, tétanisés par les nouveaux enjeux. Alors que des leaders à la Trump en font, eux, leur beurre. Ils les provoquent, ralliant du coup une majorité silencieuse déboussolée par la radicalité ambiante, la virulence du ton, l’absurdité de certaines revendications. Par effet de ricochet, les populistes tirent profit du discours des radicaux. C’est une lourde défaite politique.
Nous vivons une époque charnière. Nos démocraties doivent trouver un moyen d’intégrer ces nouvelles questions, de les déradicaliser ; pour le bien de tous. Qu’elles unissent et fassent avancer, plutôt que de polariser et diviser. Car la vieille politique, avec ses axes traditionnels, ses enjeux prévisibles et ses acteurs tous semblables, est derrière nous.
Pour le meilleur et pour le pire...
Les enjeux traditionnels tendent à être dépassés par de nouveaux thèmes polarisants, souvent amenés par des groupes aux opinions très campées qui profitent de la rectitude politique féroce qui s’installe.