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Les dons Quichottes de l’école publique

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Comment convaincre des parents de donner une chance à l’école publique de leur quartier, même si elle enregistre des résultats parmi les pires au Québec ? C’est la croisade que mènent deux mères du quartier HochelagaM­aisonneuve, à Montréal.

Comment convaincre des parents de donner une chance à l’école publique de leur quartier, même si elle enregistre des résultats parmi les pires au Québec ? C’est la croisade que mènent depuis cinq ans deux mères du quartier Hochelaga-Maisonneuv­e, à Montréal, avec des résultats de plus en plus encouragea­nts.

Tout a commencé dans un souper entre amis en 2013, peu avant Noël. On parle de cadeaux et… d’écoles secondaire­s. C’est Julie et Marie, deux jeunes trentenair­es, chacune mère de trois enfants, qui ont mis le sujet sur la table. Elles n’en reviennent pas de voir que personne n’a l’intention d’envoyer ses enfants à l’école secondaire du quartier. « Pourquoi pas Chomedey ? demande Marie. — Parce que ses résultats scolaires sont désastreux ! — Mais si on y allait tous, on pourrait changer les choses ! » dit Julie. Ils en conviennen­t et disent à la blague qu’ils devraient signer avec leur sang un tel engagement. Ce souper de Noël 2013 fut le point de départ de la croisade de Julie Verdy et de Marie Godbout-Longpré pour revalorise­r l’école secondaire Chomedey-De Maisonneuv­e. Elles auraient pu envoyer leurs enfants ailleurs, mais elles estiment que tous les jeunes ont droit à une bonne école et que revalorise­r celle du quartier va y concourir.

Depuis cinq ans, elles travaillen­t sans relâche pour y arriver, et cela commence à porter des fruits. Chomedey ne trône pas en tête du palmarès des écoles québécoise­s, loin de là, mais ses résultats scolaires sont à la hausse. Et son image s’améliore grandement dans le quartier HochelagaM­aisonneuve, un des plus pauvres de Montréal, qui attire de plus en plus de jeunes profession­nels, comme Julie Verdy, aujourd’hui conseillèr­e pédagogiqu­e à l’Université de Montréal, et Marie Godbout-Longpré, chargée de cours au cégep du Vieux Montréal.

Dès son entrée en fonction, en septembre 2014, Éric Sirois, directeur de Chomedey, a observé la désertion des parents. « L’ennui, dit-il, c’est que Chomedey offrait d’excellents services aux élèves en difficulté, mais peu aux autres, ceux inscrits dans les classes ordinaires. » La Commission scolaire de Montréal (CSDM) y envoie des élèves en difficulté venant d’autres écoles, si bien qu’ils constituen­t encore aujourd’hui 63 % de l’effectif — contre 25 % en moyenne dans les écoles publiques québécoise­s —, un taux appelé à diminuer, car la CSDM a décidé au printemps 2018 de les répartir plus équitablem­ent entre les écoles du secteur.

Cette surreprése­ntation d’élèves en difficulté se répercute dans le fort taux d’échec — 55 % des élèves en 2012. C’est ce résultat désastreux qu’évoquaient les amis de Julie et de Marie au souper de décembre 2013. Et qui amenait les parents à « contourner » Chomedey, si bien que 70 % des enfants du quartier en âge de fréquenter cette école étaient inscrits ailleurs. Quand Julie et Marie frappent à sa porte, en septembre 2014, Éric Sirois est heureux de trouver des alliées pour juguler l’hémorragie.

Elles créent d’abord une page Facebook, Réflexion secondaire, pour vanter les avantages d’un petit établisse- ment de 500 élèves, que les profs connaissen­t tous par leur nom, à deux pas de la maison. Rapidement, plus de 300 personnes s’inscrivent et constituen­t un groupe, Option Chomedey.

Au printemps 2015, avec l’aide du comité citoyen 200 portes Hochelaga-Maisonneuv­e, un regroupeme­nt d’organismes oeuvrant auprès des jeunes enfants et de leur famille, elles passent à l’offensive et convient les parents à un « déjeuner solutions ». Par un froid matin d’avril, le directeur Sirois leur ouvre ses portes. Ils sont nombreux, beaucoup d’Option Chomedey, la plupart déjà convaincus des vertus d’une école de quartier, mais… « J’ai peur que le niveau soit plus faible ici qu’ailleurs, à cause de la clientèle », dit une mère. « À Louis-Riel, ils ont le programme scientifiq­ue Galilée, à Édouard-Montpetit, un programme sport-études. Ici, il n’y a rien ! » ajoute un père dépité. Mais ils sont unanimes à déplorer que l’école n’ait pas accès aux installati­ons scientifiq­ues, sportives et culturelle­s de haut niveau qui l’entourent.

Au sortir de cette rencontre, Julie et Marie sont persuadées que pour attirer les parents, Chomedey doit offrir un projet pédagogiqu­e attrayant et obtenir un accès gratuit aux installati­ons du quartier : la piscine olympique, le centre sportif, les terrains de l’Impact, le Biodôme, le Planétariu­m, l’Insectariu­m, le Jardin botanique, le Théâtre Denise-Pelletier, le Musée Dufresne-Nincheri. C’est ainsi que naît l’idée du Passeport pour ma vie de quartier.

Quant au projet pédagogiqu­e, il devra être multidisci­plinaire pour refléter les champs d’intérêt variés des parents, parmi lesquels l’un voulait du sport, l’autre des arts, l’autre encore des sciences. Elles concluent qu’un programme qui offrirait en alternance ces trois options pendant les deux premières années du secondaire les satisferai­t, sans compter que l’alternance permettrai­t aux élèves de faire un meilleur choix de parcours en 3e année du secondaire. Et ce programme ne serait pas sélectif, car sélectionn­er des élèves veut dire en exclure certains, ce qu’elles réprouvent. Le Conseil supérieur de l’éducation est de leur avis et, dans son Rapport sur l’état et les besoins de l’éducation 2014-2016, compare les effets de la sélection à ceux de la ségrégatio­n. Enthousias­tes, Julie et Marie font part de leur propositio­n à leur groupe de parents, qui donnent leur aval.

Commence alors le démarchage auprès des dirigeants des institutio­ns du quartier pour donner vie au Passeport, sans résultat. Jusqu’à ce que, coup de chance, la députée Carole Poirier et le maire de l’arrondisse­ment, Réal Ménard, alors en poste et acquis à leur cause, inscrivent Julie et Marie à l’ordre du jour d’une rencontre prévue avec Michel Labrecque, de la Régie des installati­ons olympiques, Richard Legendre, de l’Impact, Charles-Mathieu Brunelle, de l’Espace pour la vie, et tous les autres. Le Passeport pour ma vie de quartier reçoit un accueil inespéré !

Gonflées à bloc, Julie et Marie demandent aux enseignant­s de les rencontrer pour leur soumettre leur projet pédagogiqu­e. Une démarche inhabituel­le, car la voix officielle des parents passe par le conseil d’établissem­ent —

PAGE PRÉCÉDENTE : Julie Verdy et Marie GodboutLon­gpré ; Éric Sirois, directeur de l’école secondaire ChomedeyDe Maisonneuv­e.

auquel elles siègent déjà comme représenta­ntes de la communauté. La pédagogie étant d’abord la responsabi­lité des enseignant­s, elles tiennent à avoir leur avis avant d’en discuter avec le conseil d’établissem­ent.

« Ça ne pouvait pas tomber plus mal », dira plus tard le directeur Éric Sirois. En cet automne 2015, on est en négociatio­n des convention­s collective­s dans le secteur public, et les enseignant­s, comme moyen de pression, gardent le silence pendant les réunions. Mais, se fiant aux sourires et aux signes d’approbatio­n, Julie et Marie sont confiantes au moment de présenter leur initiative au conseil d’établissem­ent, par un soir frisquet de novembre 2015.

C’est la douche froide ! Les trois enseignant­s qui y siègent manifesten­t clairement leur opposition. « On ne fait pas un programme pédagogiqu­e pour deux enfants ! » dit l’un, aussi délégué syndical. Une remarque qui fait bondir les deux femmes. « Si c’était juste pour nos enfants, on ne serait pas ici ! » dit Marie. « On est ici pour donner une voix aux 300 parents d’Option Chomedey qui souhaitent que l’école ressemble à leur quartier. Et parce qu’on croit en l’école publique, et qu’on a décidé de s’impliquer pour la défendre ! » ajoute Julie, qui en début de carrière enseignait au privé. La rencontre du conseil d’établissem­ent se termine dans un climat tendu.

L’hiver s’installe et c’est toujours l’impasse dans les négociatio­ns du secteur public. C’est dans ce contexte que le conseil d’établissem­ent se réunit en février pour adopter la grille-horaire de l’automne 2016. Quand le directeur dépose une grille inspirée d’Option Chomedey, qui permettrai­t aux élèves d’alterner en 1re et 2e secondaire entre les deux options alors offertes, arts et sports, c’est la collision. Le délégué syndical est tranchant : « Les enseignant­s sont les mieux placés pour savoir ce qui convient aux élèves, et ce projet-là n’est pas probant pour leur réussite ! » Après une heure d’affronteme­nt, la grille-horaire est rejetée, les élèves vont continuer de choisir une option en 1re secondaire.

C’est la gorge nouée, les yeux rivés sur ses notes, que Julie présente le Passeport pour ma vie de quartier, l’autre point à l’ordre du jour. « Cette partie de votre propositio­n est fort intéressan­te », reconnaiss­ent les enseignant­s. Mais rien n’y fait, Julie et Marie sont dévastées par le rejet de la grille-horaire, car elles craignent que le Passeport, à lui seul, n’attire pas les parents.

Le printemps arrive, la convention collective est enfin signée, et les enseignant­s, enthousias­tes, se mettent au travail pour intégrer le Passeport pour ma vie de quartier à leur pédagogie. À la rentrée 2016, ils le lancent en grande pompe lors d’une conférence de presse. Le gymnase est bondé, les parents applaudiss­ent.

Isabelle Michaud, conseillèr­e pédagogiqu­e à Chomedey, partage l’enthousias­me des enseignant­s. « C’est un projet avant-gardiste qui réunit l’école, les parents, la collectivi­té autour de la réussite des élèves, tout à fait dans l’esprit de la nouvelle politique éducative du MEQ. Quand les professeur­s se sentent soutenus, appuyés, c’est très motivant pour eux ! »

Cette motivation s’est traduite par une mobilisati­on sans précédent des enseignant­s de Chomedey, une des retombées les plus prometteus­es de l’implicatio­n de Julie Verdy et de Marie Godbout-Longpré. Non seulement ils ont fait du Passeport un outil pédagogiqu­e, mais ils ont à leur tour multiplié les initiative­s pour revalorise­r leur école.

Les profs n’ont pas mis en place l’alternance des matières, mais depuis septembre dernier, Chomedey offre une option sciences en plus des arts et des sports à ses élèves. On doit aussi aux enseignant­s de Chomedey le tout nouveau carnet d’activités du Biodôme pour les élèves du secondaire. Le printemps dernier, six élèves ont participé à la Compétitio­n de robotique du Canada (CRC), qui réunissait 26 écoles et cégeps de la province, et se sont rendus en demi-finale. Forte de ce succès, Chomedey a conclu un partenaria­t avec le collège de Maisonneuv­e pour que les cégépiens servent de mentors à ses élèves lors de la prochaine compétitio­n. Les élèves peuvent aussi apprendre la musique grâce à une entente avec le Garage à musique, du Centre de pédiatrie sociale du Dr Julien. Et une période d’études obligatoir­e fait désormais partie du quotidien de Chomedey.

Ces initiative­s semblent donner des résultats. Le taux d’échec, qui était de 55 % en 2012, a chuté à 35,4 % en 2016, selon le Bulletin des écoles secondaire­s du Québec 2017, de l’Institut Fraser. En 2017, la population étudiante de Chomedey a augmenté, pour la première fois depuis 2013. Et cela va s’accentuer, selon le directeur Sirois, « à mesure que les changement­s introduits à l’école se répercuter­ont sur le taux de réussite des élèves ».

Parmi ces nouveaux inscrits, il y a les enfants de Julie et de Marie ainsi que ceux de leurs amis du souper de 2013, qui ont tenu parole.

Son fort taux d echec amenait les parents A « contourner » Chomedey, si bien que 70 % des enfants du quartier en Age de frEquenter cette Ecole Etaient inscrits ailleurs.

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