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- PAR CHANTAL HÉBERT

Sur l’échiquier fédéral-provincial, le premier ministre de l’Ontario est une pièce incontourn­able. Aucun parti fédéral ne peut remporter le pouvoir au Canada sans assises solides dans sa province la plus peuplée. Aucun chef de gouverneme­nt provincial, à part peut-être celui du Québec, n’est mieux placé pour jouer à l’empêcheur de tourner en rond par rapport à Ottawa.

Cette influence a un prix. Le premier ministre Doug Ford l’apprend à ses dépens depuis qu’il s’est installé au pouvoir à Queen’s Park l’été dernier. Les gestes de son gouverneme­nt ont une portée que cet ex-politicien municipal semble avoir de la difficulté à mesurer.

Lorsque M. Ford a entrepris de biffer d’un coup de crayon le poste de commissair­e aux services en français et qu’il a passé à la trappe le projet d’une université francophon­e le mois dernier, il ne s’attendait manifestem­ent pas à provoquer un ressac qui allait déborder des frontières de sa province.

Son gouverneme­nt n’avait pas jugé bon de mettre en place un plan de communicat­ion pour amortir le choc. Le jour de l’annonce, la ministre responsabl­e du dossier, Caroline Mulroney, était à l’extérieur de l’Ontario. M. Ford n’avait ni consulté ni prévenu son allié fédéral, le chef du Parti conservate­ur du Canada, Andrew Scheer. En clair, il semble qu’il se soit aventuré dans un champ de mines dont il ignorait l’existence.

Dans les jours qui ont suivi, il n’a pas reculé sur le fond, mais il a changé de ton. Un peu plus d’une semaine après avoir mis le feu aux poudres, l’incendiair­e s’est métamorpho­sé en pompier.

Doug Ford a subitement ressuscité le ministère des Affaires francophon­es, qu’il avait rayé de l’organigram­me du Cabinet lors de son arrivée au pouvoir, et il a décidé d’ajouter un conseiller aux affaires francophon­es à sa garde rapprochée. On verra à l’usure si cela se traduira par une plus grande ouverture.

Ce n’est pas seulement pour les beaux yeux de ses concitoyen­s francophon­es que le premier ministre Ford a adapté son discours sur la place légitime des Franco-Ontariens dans l’ordre des choses de sa province.

Depuis qu’il est devenu premier ministre, Doug Ford s’est fait fort de bouter Justin Trudeau hors du pouvoir à Ottawa. À l’entendre, on pourrait croire qu’Andrew Scheer n’est qu’un instrument dans sa vendetta personnell­e contre les libéraux fédéraux.

Mais voilà que la crise qu’il a provoquée en voulant réaliser des économies de bouts de chandelles sur le dos de la minorité franco-ontarienne a fait passer Doug Ford de poids lourd du mouvement conservate­ur à poids mort pour ses cousins fédéraux.

Au Québec et dans les régions plus francophon­es du Canada, Andrew Scheer risque de payer cher la cour assidue qu’il a faite à son homologue ontarien depuis six mois. À l’échelle canadienne, le rôle de spectateur plus ou moins impuissant du chef fédéral dans la saga ontarienne a affaibli son image.

Des commentate­urs de langue anglaise ont trouvé qu’il avait davantage l’air du chien de poche de son allié ontarien que du chef en titre du mouvement conservate­ur canadien ou d’un aspirant premier ministre.

Le gâchis de Doug Ford sur le front linguistiq­ue aura-t-il un effet dissuasif sur le gouverneme­nt de Blaine Higgs au Nouveau-Brunswick ? Là aussi, un premier ministre conservate­ur qui pourrait devenir encombrant pour Andrew Scheer est en train de s’installer au pouvoir. Non seulement M. Higgs n’a pas été particuliè­rement friand de dualité linguistiq­ue dans le passé, mais son gouverneme­nt minoritair­e dépend, s’il veut survivre, de l’appui d’un tiers parti déterminé à rogner les acquis des Acadiens.

L’équipe Scheer pourrait devoir s’activer pour éviter qu’un autre de ses alliés provinciau­x ne provoque une nouvelle flambée susceptibl­e de brûler les ailes du parti fédéral en vue du scrutin de l’automne prochain.

Dans cette affaire, la levée de boucliers québécois et les répercussi­ons appréhendé­es des politiques de Doug Ford sur les perspectiv­es conservatr­ices au Québec lors des prochaines élections fédérales ont indéniable­ment joué un rôle déterminan­t. Sans gains québécois, les conservate­urs d’Andrew Scheer risquent de continuer à ronger leur frein dans l’opposition.

Pour le premier ministre François Legault, qui ne s’attendait pas à ce que sa première visite à Queen’s Park se déroule sur fond de crise linguistiq­ue, il y a là un rappel que le rapport de force du Québec au sein de la fédération repose au moins autant sur son poids électoral que sur la place du français dans l’histoire du Canada. C’est justement ce poids qui pourrait être appelé à diminuer dans la foulée de la réduction caquiste des seuils d’immigratio­n.

Au Québec et dans les régions plus francophon­es du Canada, Andrew Scheer risque de payer cher la cour assidue qu’il a faite à son homologue ontarien depuis six mois.

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