L’entrevue
TREVOR TAYLOR
À quoi s’engagent les signataires de l’accord ?
Ils interdisent la pêche commerciale dans l’océan Arctique central [dont la superficie équivaut à celles du Québec et de l’Ontario combinées] pour 16 ans et mettront en place un programme de surveillance et de recherche scientifique pour mieux comprendre cet écosystème, en collaboration avec les peuples inuits.
Y avait-il urgence d’agir ?
Avec le couvert de glace qui diminue année après année, ce n’était qu’une question de temps avant que des navires de pêche soient attirés par ce territoire inexploité. L’accord est arrivé juste à point.
Vous avez dit que c’était une entente sans précédent dans l’industrie de la pêche. Pourquoi ?
Partout dans le monde, nous avons pêché d’abord, et essayé d’imposer des règles ensuite. Cette fois, personne ne lancera ses filets dans l’Arctique central tant que nous n’aurons pas suffisamment d’information scientifique pour connaître les conséquences d’une potentielle pêche commerciale.
Vous espérez que les études scientifiques iront au-delà de l’évaluation des stocks de poissons. Que voulez-vous dire ? Traditionnellement, les chercheurs évaluent la quantité de poissons présente dans une zone de pêche, puis assignent un pourcentage qui peut être prélevé sans risque en se basant sur des modèles préétablis. Mais l’océan Arctique central est un écosystème fragile qu’on connaît peu. Si on étudie la morue polaire — l’espèce la plus susceptible d’être exploitée —, il ne faut pas seulement mesurer la population, mais comprendre son rôle dans l’ensemble de la chaîne alimentaire.
Que se passera-t-il à la fin de l’accord, dans 16 ans ?
C’est comme les abonnements qui se renouvellent automatiquement : l’accord sera reconduit pour cinq ans, puis pour cinq ans encore et ainsi de suite, à moins qu’un des signataires ne dise tout haut qu’il souhaite y mettre fin. C’est plus efficace que de renégocier constamment, et cela expose l’État dissident à des pressions internationales.
Vous êtes un ancien capitaine de navire de pêche... Pourquoi avez-vous milité pour que cet accord se réalise ?
J’ai grandi dans une communauté de pêcheurs du nord de Terre-Neuve, où j’ai pêché la morue et le flétan du Groenland. J’ai vécu l’effondrement des stocks de poissons au premier plan : j’ai perdu ma job. Disons que ça a influencé mon opinion sur ce qui doit être fait dans l’océan Arctique central et sur la façon d’exploiter les zones de pêche. Imaginez ce que serait Terre-Neuve aujourd’hui si on avait su protéger cette ressource... (Marc-André Sabourin)