Vie numérique
Les services de musique en continu transforment l’industrie musicale depuis une dizaine d’années. En plus des habitudes d’écoute et de la rémunération des artistes, les Apple Music et Spotify de ce monde influencent aussi un autre volet important : la cré
Les moyens de distribution ont toujours eu une incidence sur la musique populaire. Jusqu’aux années 1960, les disques 45 tours limitaient la durée des chansons à trois minutes environ. Quand l’industrie a commercialisé les 33 tours, plus payants, les artistes ont pu allonger leurs pièces. Par la suite, des cassettes aux MP3, chaque format a laissé sa trace. La diffusion en continu domine maintenant le marché et, sur le plan de la création, l’industrie s’y adapte d’au moins trois façons.
ON PASSE AU SIMPLE
Les simples ont longtemps été un outil pour promouvoir l’arrivée d’un nouveau disque. Aujourd’hui, ils ont leur propre raison d’être. Les artistes établis qui choisissent de dévoiler leurs créations une à la fois plutôt que de les regrouper sur un album tous les deux ans augmentent ainsi leur présence, notamment dans les listes de lecture des services de diffusion. « This Is America », de Childish Gambino, a été l’un des plus gros succès de 2018, avec plus de 400 millions de visionnements sur YouTube, même si la pièce ne figure sur aucun album.
LES CHANSONS RACCOURCISSENT
Les artistes sont payés — des fractions de cents — pour l’écoute d’une chanson sur un service de musique en ligne à la condition qu’elle soit jouée pendant au moins 30 secondes. Suivant ce principe, plus un morceau est court, plus il rapporte d’argent (s’il est écouté en boucle, par exemple).
Certains genres se sont rapidement adaptés. L’album ? (eh oui, c’est son titre), du rappeur XXXTentacion, compte par exemple 18 chansons, dont 10 de moins de deux minutes. C’est 50 % de plus qu’un album ordinaire. À l’ère de la diffusion en continu, une écoute de ? génère donc 50 % plus de revenus.
Dans l’ensemble, la durée moyenne des chansons rap du palmarès Billboard Hot 100 est d’ailleurs passée de plus de 4 minutes 15 en 2013 à moins de 3 minutes 30 en 2018, selon une liste compilée pour L’actualité par Michael Tauberg, un ingénieur de la Silicon Valley qui publie régulièrement des analyses de données sur l’industrie de la musique. Une diminution similaire s’observe aussi dans d’autres genres, mais d’une façon moins marquée.
LA POP DOMINE
Dans son essai Pop Goes Independent Music, le professeur adjoint à l’Université du Massachusetts Joe Steinhardt explique que la diffusion de musique ne fonctionne, du point de vue financier, que pour la pop axée sur les gros succès. D’ailleurs, 99 % de la musique écoutée sur Spotify provient des 10 % les plus populaires, selon une étude de la société d’analyse américaine BuzzAngle Music.
La musique commerciale a toujours dominé le marché, rappelle Joe Steinhardt. Mais les ventes d’albums physiques et une presse musicale forte laissaient néanmoins une place aux étiquettes indépendantes et aux artistes plus marginaux. Avec les algorithmes qui dictent les chansons présentées aux utilisateurs, et avec les listes de lecture formatées par les géants de l’industrie, la donne n’est plus la même.
La musique ne sera pas que populaire dans les années à venir, tout comme des albums offrant de longues chansons vont continuer de voir le jour. Mais la distribution a toujours influencé les tendances musicales de l’industrie. Ce sera encore le cas. Du moins jusqu’au prochain grand bouleversement.