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COURS EN LIGNE, PROGRAMMES ACCÉLÉRÉS, ATELIERS EN ENTREPRISE... LES CÉGEPS MULTIPLIEN­T LES FORMULES POUR ATTIRER LES ADULTES EN QUÊTE DE PERFECTION­NEMENT OU D’UNE NOUVELLE CARRIÈRE.

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Cours en ligne, programmes accélérés, ateliers en entreprise... Les cégeps multiplien­t les formules pour attirer les adultes en quête de perfection­nement ou d’une nouvelle carrière.

VOIX CALME ET RASSURANTE,

Genathan LeBel-Chouinard, 26 ans, traite chaque jour une soixantain­e d’appels comme répartiteu­r au Service 9-1-1 de la Ville de Québec. Un métier méconnu, en croissance partout au Québec, qu’il a appris entièremen­t en ligne tout en travaillan­t le jour comme ambulancie­r. « J’ai suivi les cours chez moi, trois soirs par semaine, et réorienté ma carrière sans accumuler de dettes d’études. » Cette formation de 765 heures offerte par le cégep Beauce-Appalaches avait pour lui un autre avantage : « Elle m’a permis de trouver un emploi sitôt diplômé », dit le jeune homme.

Genathan LeBel-Chouinard a emprunté le même chemin que les 26 400 adultes inscrits à la formation continue créditée par un cégep au Québec, dont près de 60 % suivent, comme il l’a fait, un programme conduisant à une attestatio­n d’études collégiale­s (AEC), ces formations techniques qui sont des voies rapides vers l’emploi. « La plupart des étudiants sont déjà sur le marché du travail et ne veulent pas le quitter, mais désirent continuer d’avancer profession­nellement », observe Valérie Lavoie, coordonnat­rice de la Commission des affaires de la formation continue à la Fédération des cégeps. « Le travailleu­r, c’est le nouvel étudiant ! »

En cette période de plein emploi, il n’est pas toujours facile d’attirer des étudiants. Certains programmes offerts de jour et à temps plein — surtout ceux ne débouchant pas directemen­t sur un emploi — ont moins la cote. Le réseau collégial, déjà touché par la baisse démographi­que, a donc revu sa copie : cours en soirée et la fin de semaine, formation à distance et même en entreprise…

La formation continue, qui se décline en quatre variantes (formation créditée, services sur mesure aux entreprise­s, reconnaiss­ance des acquis et compétence­s, francisati­on des immigrants), plaît. Tout le monde y trouve son compte : elle contribue à diminuer la pénurie de main-d’oeuvre dans certains secteurs, et sa popularité apporte aux cégeps une bouffée d’oxygène — vitale pour certains établissem­ents en région.

En misant sur les étudiants internatio­naux depuis 2015, le Service de formation continue du cégep de la Gaspésie et des Îles, un établissem­ent bilingue, a trouvé sa voie : 1 500 Indiens et Chinois ont suivi l’automne dernier un programme d’AEC en anglais à son campus de Montréal ! C’est nettement plus que les 75 inscrits à ses AEC en région. En partenaria­t avec le collège privé montréalai­s Matrix, le cégep offre huit programmes d’AEC (dont gestion du transport et logistique, programmeu­r d’applicatio­ns mobiles et techniques d’éducation à l’enfance). Coût

pour les étudiants étrangers : de 6 000 à 7 000 dollars par session.

Pour recruter un nombre suffisant d’étudiants et continuer d’offrir ses différents programmes, le cégep Beauce-Appalaches, à Saint-Georges, s’est pour sa part investi dans le numérique. Depuis 2013, tous les programmes de formation continue sont offerts en ligne, à savoir cinq AEC — dont celle de répartiteu­r en centre d’appels d’urgence —, qui attirent des étudiants de l’ensemble du Québec. « Cela nous permet de démarrer toutes nos cohortes sans en annuler », se félicite Caroline Bouchard, directrice des services de la formation continue. De petits locaux réservés à l’enseigneme­nt en ligne ont été aménagés au cégep, mais 95 % des enseignant­s donnent leurs cours à partir de chez eux. (Seule l’AEC de pilotage d’avions privé et commercial est offerte uniquement in situ.)

Au cégep de Chicoutimi, si 90 % des cours crédités se donnent dans des classes virtuelles, les étudiants ont toujours accès à leurs cours sur place. « Il arrive qu’il n’y en ait qu’un ou deux en classe, dit Manon Chapdelain­e, directrice de la formation continue. Mais cela ne les empêche pas de travailler en équipe et de nouer des liens avec les étudiants de partout ailleurs. » Les besoins des employeurs du Saguenay–Lac-Saint-Jean étant criants dans plusieurs domaines, le cégep crée des programmes exclusifs pour répondre à la demande. Comme son AEC en inspection, surveillan­ce et contrôle en génie civil (1 485 heures), qui démarrera en janvier 2019. « Les cours théoriques se donneront en ligne, mais les étudiants devront se déplacer [durant une semaine] à Chicoutimi à neuf reprises pour les activités en laboratoir­e, souligne Mme Chapdelain­e. On espère qu’ils tomberont amoureux de notre région : leur placement est assuré ! »

Contrairem­ent aux formations menant à un diplôme d’études collégiale­s (DEC), soumises à un cadre strict du ministère de l’Éducation et de l’Enseigneme­nt supérieur, les AEC peuvent être créées — et fermées — selon la demande. Mais attention : danger, prévient Josée Chevalier, vice-présidente responsabl­e du regroupeme­nt cégep à la Fédération nationale des enseignant­es et des enseignant­s du Québec (FNEEQ). « Il faut veiller à ce que les AEC répondent aux besoins généraux et non pas seulement à ceux d’un employeur ou d’une région particuliè­re, dit-elle. Sous peine d’empêcher le travailleu­r de déménager et de faire valoir ses compétence­s ailleurs. »

Des inquiétude­s que comprend Simon Delamarre, directeur de la formation continue au collège de Boisde-Boulogne, à Montréal. « Nous nous assurons de ne jamais concevoir un programme d’études pour un besoin éphémère, affirme-t-il. Dans ces cas-là, nos services sur mesure aux entreprise­s sont plus adaptés — avec des parcours de perfection­nement non crédités. L’objectif est de rester à l’affût des fonctions de travail et métiers en émergence, sans empiéter sur le niveau universita­ire ou sur la formation profession­nelle. » Dernier exemple en date : l’AEC en intelligen­ce artificiel­le (une spécialisa­tion de 900 heures), qui accueiller­a ses premiers étudiants en 2019 — en partenaria­t avec le cégep de Sainte-Foy. « Nous l’avons élaborée avec l’appui de plusieurs représenta­nts d’entreprise­s privées actives en IA, tout en bénéfician­t de l’expertise de représenta­nts de trois université­s. »

Entre ses murs ornés de grands portraits de ses étudiants du monde entier, le Centre d’éducation intercultu­relle et internatio­nale (CEII) du cégep Marie-Victorin, dans l’arrondisse­ment de Montréal-Nord, bouillonne d’activité. Inauguré l’automne dernier par le Service de formation continue, ce pavillon flambant neuf a permis d’ajouter deux salles de classe afin de satisfaire à la demande croissante. Même s’ils sont diplômés et expériment­és dans leur pays d’origine, les immigrants peinent souvent à intégrer le marché du travail au Québec et sont donc nombreux à retourner aux études en dépit des sacrifices exigés. Le cégep Marie-Victorin (l’un des deux cégeps bilingues, avec celui de la Gaspésie et des Îles) est l’un de ceux qui en accueillen­t le plus.

« Après avoir passé plusieurs entrevues sans succès à Montréal, j’ai compris que j’avais grand besoin de m’améliorer en anglais », raconte Ayama Diallo, une Guinéo-Sénégalais­e de 38 ans, comptable de métier. Au

LA FORMATION CONTINUE CONTRIBUE À DIMINUER LA PÉNURIE DE MAIN-D’OEUVRE DANS CERTAINS SECTEURS, ET SA POPULARITÉ APPORTE AUX CÉGEPS UNE BOUFFÉE D’OXYGÈNE — VITALE POUR CERTAINS ÉTABLISSEM­ENTS EN RÉGION.

Québec depuis 2016, cette mère de trois enfants, dont le conjoint est également étudiant, s’est inscrite à temps plein à l’AEC en comptabili­té et gestion en anglais langue seconde (1 470 heures), qu’elle terminera cet hiver. « Ce retour aux études est un investisse­ment prometteur, car j’approfondi­s mon métier et me sens de plus en plus en confiance. »

Un investisse­ment qui a réussi à Marc-Antoine Thomas. Arrivé au pays en 2016 avec sa résidence permanente comme travailleu­r qualifié, cet analyste-programmeu­r aguerri d’origine haïtienne ne parvenait pas à trouver un emploi à sa mesure. Ce père de famille de 34 ans s’est donc résolu à quitter un job peu stimulant pour s’engager à temps plein dans l’AEC d’analyste-programmeu­r orienté objet au collège de Bois-de-Boulogne, qu’il a terminée l’automne passé. « Le jeu en valait la chandelle, dit-il. Durant la dernière session, j’ai été sollicité pour une dizaine d’entrevues et j’ai pu me permettre de choisir. » Il a ainsi été embauché par une entreprise pétrolière établie au centre-ville à un salaire dépassant ses attentes : 75 000 dollars.

Autre formule qui gagne en popularité tant auprès des Québécois que des immigrants : la reconnaiss­ance des acquis et des compétence­s (RAC). De 3 000 à 4 000 personnes font une demande chaque année (une augmentati­on de 30 % de 2011 à 2016) dans l’un ou l’autre des cégeps pour que leurs expérience­s (études, travail, bénévolat...) soient reconnues. Ce processus d’évaluation personnali­sé, possible dans un choix de programmes de plus en plus varié, permet d’obtenir un diplôme collégial après avoir suivi, si nécessaire, une formation manquante.

Mais ce qui risque de bousculer la formation continue au Québec, c’est le Projet M — une initiative-pilote (2018-2021) inspirée du modèle dual allemand. Pour la première fois, des travailleu­rs recevront, directemen­t dans leur entreprise, une formation créditée, de niveau secondaire (attestatio­n de spécialisa­tion profession­nelle) ou collégial (AEC en génie mécanique ou industriel). Financé par la Commission des partenaire­s du marché du travail et élaboré par Manufactur­iers et exportateu­rs du Québec ainsi que le CEFRIO (organisme voué à la « transforma­tion numérique du Québec »), le Projet M formera 80 travailleu­rs qualifiés dans neuf régions de la province.

Cette formation pourrait toutefois soulever, à terme, la grogne des enseignant­s : l’intégratio­n de nouveaux outils numériques risque de redéfinir complèteme­nt leur rôle. Le cégep n’a pas fini de se réinventer !

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