Économie
En 2016, le Conseil consultatif en matière de croissance économique (comité Barton) a proposé une augmentation de 50 % des quotas généraux d’immigration au Canada. Il voulait voir passer les admissions annuelles de 300 000 à 450 000 en cinq ans. Au Québec, une telle hausse aurait porté les admissions de 50 000 à 75 000 par année. Les membres du comité ont cru sincèrement qu’une telle accélération aiderait à combattre le vieillissement et à résoudre les pénuries de main-d’oeuvre. Malheureusement, ils ont triplement erré.
Car, tout d’abord, la recherche contemporaine a montré que l’immigration n’empêchait pas la population de vieillir. L’âge moyen des nouveaux arrivants est inférieur à celui de la population d’accueil, mais ils emmènent avec eux leurs enfants et leurs parents. Cela est parfaitement acceptable, mais a comme conséquence que l’effet final sur le vieillissement est microscopique. Après l’avoir constaté dans une étude récente, le président de l’Institut C.D. Howe, Bill Robson, a conclu de façon lapidaire : « L’immigration n’a absolument rien d’un élixir de jeunesse. »
Deuxièmement, l’idée qu’une plus forte progression de la population en âge de travailler, qu’elle vienne de l’immigration ou d’ailleurs, fait diminuer les pénuries de main-d’oeuvre est contredite par les faits. Si c’était le cas, l’intensité des pénuries de main-d’oeuvre serait plus faible aux États-Unis, et plus forte au Japon, par rapport au Québec, puisque cette population est en croissance aux États-Unis, en légère décroissance chez nous, et en décroissance rapide au Japon.
Or, c’est exactement le contraire qui est observé : les emplois non pourvus sont deux fois plus nombreux aux États-Unis, et deux fois moins nombreux au Japon. L’explication est qu’avec plus de personnes actives il y a plus de revenus dépensés en biens et services, et donc une demande accrue de main-d’oeuvre pour les produire. Et rien n’empêche cette augmentation de la demande de main-d’oeuvre d’excéder l’offre accrue. Ainsi, un plus grand nombre de personnes en âge de travailler peut très bien conduire à une aggravation, plutôt qu’à un soulagement, des pénuries de main-d’oeuvre.
Troisièmement, la cause vérifiée des pénuries de main-d’oeuvre au Québec est simplement que le taux de chômage est très bas partout en Amérique du Nord. L’économie est présentement aussi dynamique qu’il y
a 50 ans, à l’époque d’Expo 67. Il reste de moins en moins de candidats disponibles pour répondre à un nombre d’offres d’emploi qui croît à un rythme d’enfer. Recruter sélectivement des travailleurs étrangers est une des solutions intelligentes à adopter. Mais augmenter rapidement les quotas généraux d’immigration pour affronter des pénuries particulières de main-d’oeuvre n’en est pas une. Elle aurait pour effet d’aggraver le chômage des immigrants récents et de renforcer la résistance sociale à l’immigration. Autrement dit, vouloir aller trop vite risquerait de nous faire reculer au lieu d’avancer.
La recommandation du comité Barton de hausser rapidement l’immigration de 50 % était donc mal avisée. L’immigration doit continuer, bien sûr, mais il n’y a pas de justification économique sérieuse à en accélérer le rythme inconsidérément. La musique italienne nous donne la clé : y aller allegro ma non troppo. Car, comme l’a résumé le grand économiste canadien Alan Green, de l’Université Queen’s : « Au XXIe siècle, l’immigration va se justifier par sa dimension sociale et humanitaire beaucoup plus que par le rôle économique qu’elle joue. »
Mais est-ce que le repli stratégique temporaire à 40 000 nouveaux arrivants par année, annoncé par le premier ministre Legault, est la bonne décision à prendre ? Difficile de trancher. Chose certaine, le gouvernement aura une obligation stricte de résultats en matière de réponse aux besoins des entreprises en personnel et d’intégration économique, sociale et culturelle des immigrants.
Au Québec, la francisation des immigrants est capitale pour réussir leur intégration économique. Les professeurs Gilles Grenier et Serge Nadeau, de l’Université d’Ottawa, l’ont clairement démontré en produisant une analyse détaillée des données du recensement du Canada. Ils ont trouvé que la raison fondamentale de la plus grande difficulté des immigrants à s’intégrer au marché du travail de Montréal plutôt qu’à celui de Toronto est que la connaissance du français est moins répandue et moins payante à Montréal que la connaissance de l’anglais l’est à Toronto. Ils en ont conclu que donner plus d’importance à la connaissance du français au Québec est justifié non seulement pour des raisons culturelles, mais aussi pour des raisons économiques. Cela sera d’ailleurs d’autant plus nécessaire si on veut voir plus d’immigrants s’installer dans nos régions hors de Montréal.
Comme l’a résumé le grand économiste canadien Alan Green, de l’Université Queen’s : « Au XXIe siècle, l’immigration va se justifier par sa dimension sociale et humanitaire beaucoup plus que par le rôle économique qu’elle joue. »