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BOULOT CACHÉ

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Å Travail invisible : Portraits d’une lutte féministe inachevée, dirigé par Camille Robert et Louise Toupin, Éditions du remue-ménage, 200 p.

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« Môman travaille pas, ’a trop d’ouvrage ! » La boutade d’Yvon Deschamps a longtemps symbolisé le poids des tâches familiales pour les femmes. Une quinzaine d’auteures se penchent sur la question dans Travail invisible, un collectif aux idées tranchées.

Pourquoi invisible ? Parce que la production de ce travail échappe au marché en étant consommée dans la sphère privée. En 1995, le Programme des Nations unies pour le développem­ent avait chiffré le phénomène : les deux tiers du travail accompli par les femmes étaient non rémunérés, alors qu’à l’inverse les trois quarts du travail des hommes l’étaient.

Le problème reste systémique, disent les auteures, parce que « le travail ménager et de reproducti­on […] est essentiel au fonctionne­ment du capitalism­e et à son expansion ». Le travail invisible des femmes assure le développem­ent de futurs travailleu­rs et consommate­urs, et la conciliati­on travailfam­ille n’a fait que déplacer l’iniquité.

À force d’allocation­s publiques et de programmes de garderies, les femmes ont pris leur place sur le marché du travail. La garde des enfants est maintenant déléguée à un réseau où elle est rémunérée, ce qui contribue au système économique.

Mais qui reste au centre de ce réseau ? Encore les femmes, particuliè­rement des immigrante­s, dans des conditions souvent précaires, comme une « reconducti­on de la gestion féminine traditionn­elle des affaires familiales ».

Les hommes ont avancé, reconnaît la chercheuse Annabelle Seery. Mais les rôles traditionn­els sont tenaces : la charge mentale, soit la planificat­ion et l’organisati­on constante du foyer, est encore assumée par les femmes. C’est la « forme la plus invisible du travail invisible », dit-elle.

S’ajoute la question des proches aidants. Quand la maladie frappe, c’est la « conscripti­on », écrit la chercheuse Irène Demczuk. « On devient proche aidante sans s’en rendre compte, car c’est en qualité de fille, de conjointe, de mère, de belle-fille ou d’amie que l’on prend soin d’un membre de sa famille biologique ou élective, souvent sans l’avoir planifié. »

L’État a privatisé le soutien, mettant le fardeau des soins sur les familles, surtout sur les femmes. Elles deviennent soignantes, ressources de première ligne, « gratuiteme­nt au nom de la nature, de l’amour et du devoir familial ». Les allocation­s publiques ne compensent pas les heures qui y sont consacrées. Un contrat social inégal, estime l’auteure.

Comme tout ouvrage collectif, ce livre a le défaut de ratisser large et de façon inégale. À des textes très fouillés succèdent parfois des témoignage­s plus commodes que pertinents. Mais les auteures démontrent que la lutte contre le travail invisible reste un « projet féministe inachevé ». (Jean-Philippe Cipriani)

» Malgré plusieurs transforma­tions importante­s durant les 40 dernières années, dont la création du réseau des CPE et la mise en place d’un congé de paternité, force est de constater qu’il s’agit encore d’un combat non gagné, tant pour ce qui est du nombre d’heures consacrées quotidienn­ement au travail ménager par les femmes que la charge mentale de l’organisati­on familiale, qu’elles continuent, dans la plupart des cas, à porter seules.

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