L’actualité

Champ libre

- PAR DAVID DESJARDINS

Alors, le pot, ça va ?

Les rues ne sont pas infestées par des zombies complèteme­nt gelés ? Les adolescent­s n’ont pas abandonné l’école en masse pour se consacrer à l’écoute en boucle de l’oeuvre de Cheech & Chong en adoptant un régime exclusivem­ent composé de Cheetos et de Jos Louis ?

Bon. Alors maintenant que le business médiatique — et politique ! — de l’hystérie collective recule un peu, permettez que je pose une question. Pourquoi fumeton du cannabis ?

Ce n’est pas une interrogat­ion banale. Et elle renvoie à autre chose qu’aux plaisirs gustatifs, comme l’alcool. Puisqu’on peut boire par goût, sans s’enivrer, mais qu’on ne peut évidemment pas fumer sans buzz. Alors, pourquoi ce buzz ? Et les autres, plus puissants encore, qui projettent l’esprit dans une voie parallèle autrement fascinante ?

Il y a un début de réponse dans Trip, de l’auteur américain Tao Lin. Essai en forme d’écho à son roman Taipei, dans lequel il évoquait ses abus de psychotrop­es, Trip est un voyage dans l’histoire des drogues psychédéli­ques. Lin y expose ses penchants dépressifs, ses dépendance­s aux produits pharmacolo­giques, puis relate comment il s’est guéri des deux grâce au cannabis, au LSD (l’acide), au DMT (c’est compliqué, vous googlerez) et à la psilocybin­e (l’agent actif des champignon­s magiques).

Mais c’est avant tout un ouvrage qui expose le degré d’aliénation dans lequel nombre d’entre nous vivons, calmant nos gros nerfs aux anxiolytiq­ues et nos coups de blues aux antidépres­seurs. Comme si de rien n’était. Comme si ce n’était pas aussi de la drogue.

Je vous entends déjà me dire que je mélange les choses : drogues et médicament­s. Intuitions d’auteur et science. Suivezmoi une minute, je vous prie. Je pense que ça vaut la peine d’explorer la nature de ces substances qui modifient nos perception­s et altèrent notre conscience.

C’est ce que fait Michael Pollan dans How to Change Your Mind. L’auteur révéré d’In Defense of Food s’intéresse lui aussi aux psychédéli­ques, comme Lin. Et comme Timothy Leary et Aldous Huxley bien avant eux. Il en fait l’essai et explore avec des scientifiq­ues le potentiel curatif de ces composés, comme il était envisagé de le faire jusqu’au milieu des années 1960, avant que ceuxci passent dans l’illégalité : à titre d’excellents expédients pour comprendre le fonctionne­ment de l’esprit.

Les recherches se multiplien­t en ce sens. On administre du MDMA (ecstasy) aux dépressifs. Du LSD à

des patients paralysés par l’anxiété. Et les résultats sont si probants qu’on ne peut que se demander si, pour des motifs politiques, on n’a pas interdit des drogues aux vertus pourtant remarquabl­es, que des psychiatre­s employaien­t autrefois pour leurs thérapies. C’est ce que croit le Dr Robin CarhartHar­ris, qui mène justement ce genre d’études au RoyaumeUni.

Michael Pollan, pour sa part, a rencontré des cancéreux que l’acide a aidés à faire la paix avec la mort. Il a luimême constaté que le voyage mental vécu lors d’un buzz, en compagnie d’un profession­nel de la santé (parce qu’avec d’aussi puissantes substances on ne doit surtout pas s’automédica­menter ni ingérer n’importe quoi), pouvait lui permettre de mieux se comprendre, de nettoyer sa conscience de tout ce qui l’empêchait d’envisager le monde sans le faire passer par le filtre de son égo. Le rapport avec le cannabis ? Sans provoquer de spectacula­ires effets hallucinat­oires, le pot recèle d’autres possibilit­és qu’un usage à des fins récréative­s. Et c’est probableme­nt sa plus grande différence avec l’alcool, et la raison pour laquelle la drogue est si mal comprise par celles et ceux qui n’en consomment jamais.

Le cannabis altère les sens et la pensée. Il découpe les formes, fait irradier les couleurs, teinte les sons. Il permet de réfléchir autrement, fait naître des idées parfois inouïes, alimente l’imaginaire et pacifie l’esprit. Pas toujours. Pas pour tout le monde non plus. Les drogues psychédéli­ques ne conviennen­t surtout pas aux trop jeunes et malléables esprits ni aux personnes souffrant de troubles psychotiqu­es.

Mais pour toute substance, il y a des contreindi­cations. Ne nous en tenons pas là.

Ce qui m’intéresse, c’est le désir de milliers de gens de réenchante­r leurs vies par les psychédéli­ques. Et que ce besoin a sans doute aussi à voir avec la nécessité de renouer avec une idée du mystère, d’un autre sens pour nos vies que celui du travail–famille–WiFi qui nous est imposé.

Estce que cela comporte des risques ? Évidemment. Estce que j’intellectu­alise une simple évasion du réel ? Bien sûr ! Mais il ne s’agit pas ici de faire l’apologie de la drogue. Seulement de tenter de comprendre pourquoi tant de gens cherchent à se sauver momentaném­ent de l’affliction du quotidien pour ajouter à leur vie une touche de magie, et accéder à un autre niveau de conscience. Il est trop facile de les ranger dans une petite case sur laquelle on a écrit « drogués » pour satisfaire notre morale.

Le pot recèle d’autres possibilit­és qu’un usage à des fins récréative­s. Et c’est probableme­nt la raison pour laquelle la drogue est si mal comprise par celles et ceux qui n’en consomment jamais.

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