L’actualité

Faut-il avoir peur…

… DES BÉBÉS MODIFIÉS ?

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Peut-on empêcher la naissance de bébés génétiquem­ent modifiés ? La question a cessé d’être théorique en novembre dernier lorsque He Jiankui, un chercheur en biophysiqu­e chinois, a annoncé sur YouTube la naissance de jumelles issues d’embryons dont il a modifié le génome grâce au « ciseau moléculair­e » CRISPR pour, selon ses dires, les immuniser contre le VIH. Son geste a aussitôt été condamné par la communauté scientifiq­ue internatio­nale et le gouverneme­nt chinois, qui a désavoué le chercheur de Shenzhen et l’a assigné à résidence.

En théorie, l’ingénierie ciblée du génome pourrait corriger des mutations à l’origine de maladies. Si elle vise les cellules germinales qui transmette­nt le patrimoine génétique, elle pourrait aussi empêcher que des personnes porteuses de ces mutations ne les transmette­nt à leurs descendant­s. Certains chercheurs croient que cette technique pourrait, un jour, permettre à l’humanité de survivre à un microbe dévastateu­r ou à des conditions de vie rendues hostiles, par exemple par les changement­s climatique­s.

En pratique, ces manipulati­ons restent très hasardeuse­s : la technique CRISPR est connue pour engendrer des mutations non désirées, qui peuvent passer sous le radar des scientifiq­ues. On ne sait pas quels problèmes ces mutations pourraient causer ni à quel moment elles pourraient survenir dans la vie des bébés modifiés ou de leurs futurs descendant­s. Le risque est jugé assez sérieux pour que la manipulati­on des cellules germinales soit déjà interdite au Canada et dans plusieurs autres pays.

Mais depuis novembre, des scientifiq­ues américains ont reconnu qu’ils étaient au courant de l’expérience chinoise et qu’ils n’avaient rien fait pour tenter de la bloquer. En Chine, un troisième bébé modifié serait attendu pour cet été. Certains des pionniers de la technique réclament un moratoire internatio­nal, et l’Organisati­on mondiale de la santé réfléchit aussi à un contrôle planétaire plus e•cace.

La Commission de l’éthique en science et en technologi­e du Québec, à laquelle je siège, a récemment rendu son avis sur le sujet, qui tient compte du fait que les pressions pour autoriser de telles procédures se multiplien­t. Tout en réa•rmant la nécessité de maintenir l’interdicti­on de la technique, elle demande aux gouverneme­nts de financer davantage la recherche précliniqu­e sur des modèles animaux, tout en fixant des standards stricts pour empêcher les chercheurs de brûler des étapes. Elle réa•rme aussi que, si jamais de telles manipulati­ons devaient finir par être autorisées, elles ne pourraient être médicaleme­nt justifiées que si l’enfant à naître présentait un risque très élevé d’être atteint d’une maladie très grave, et uniquement s’il n’existait aucune autre option reproducti­ve ou thérapeuti­que. (Valérie Borde)

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